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Il n’est jusqu’aux dames de la Halle qui n’eussent sujet de se féliciter. Louis XVI tint, en effet, à les recevoir en personne, au risque de scandaliser le duc de La Vrillière ; aux représentations du ministre de sa Maison, il répliqua par ces lignes touchantes : « Cette question n’en peut faire une. D’abord elles verraient un déshonneur au contraire ; ensuite les hommages de ces braves gens ne sont pas de ceux qu’on reçoit avec le moins de plaisir… Je ne dois pas oublier que je suis le roi de tous, grands et petits, et que l’art de se faire aimer est le moins coûteux de tous les moyens de gouvernement. »

Le public remarquait avec la même faveur la bonne tenue, la simplicité de la Cour. Le séjour à la Muette offrit vraiment l’image d’une existence bourgeoise dans une famille unie. Chaque jour, le Roi faisait une longue promenade à pied, tantôt avec la Reine, tantôt avec ses frères, escorté d’une suite peu nombreuse, « sans fusils ni hallebardes, » au mépris de toute étiquette. Le peuple, à son passage, l’accablait de bénédictions, de vivats enthousiastes[1]. Une égale popularité allait à Marie-Antoinette. Si l’on néglige quelques saillies d’humeur, qu’on pardonnait à sa jeunesse, elle montrait de la coquetterie à gagner l’affection de tous. Rencontrant un major des gardes avec lequel, étant Dauphine, elle avait eu jadis quelque difficulté, elle l’abordait franchement : « Nous avons eu l’un et l’autre des vivacités, disait-elle avec un sourire ; les vôtres sont oubliées, je vous prie d’oublier les miennes[2]. » Ses défauts mêmes, en cette l’une de miel de son règne, l’aidaient à conquérir le cœur de ses sujets. Rieuse, élégante, frivole, elle succédait à ces reines laides et délaissées qui, depuis plus d’un siècle, avaient langui tristement sur le trône ; cette nouveauté divertissait l’imagination populaire. « Si l’on avait voulu, écrivait un contemporain, faire une souveraine exprès pour les Français, on n’aurait pu mieux réussir. » Le succès lui venait alors de ce qui, peu de temps après, par un étrange retour, lui attirera l’aversion de la foule.

Les Comtes de Provence et d’Artois n’essayaient pas encore de troubler cette bonne harmonie. L’amicale familiarité du Roi s’efforçait de prévenir chez eux tout froissement et toute jalousie.

  1. Chronique secrète de l’abbé Baudeau. — Passim.
  2. Lettre de la marquise de Boufflers du 25 mai 1774. — La marquise de Boufflers, par G. Maugras.