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comme, Notre-Seigneur à Jérusalem. On montait sur les toits pour le voir passer… » Agitation organisée et popularité factice, dont Choiseul lui-même n’est point dupe, car, avant d’arriver, il s’occupe du retour, et commande des chevaux à Blois pour le ramener prochainement dans sa terre. De fait, tout ce tapage avait indisposé Louis XVI ; le duc s’en aperçut, quand le lendemain, à neuf heures du matin, il fit sa visite à la Muette où résidait la Cour. C’est à peine si le Roi lui adressa quelques paroles maussades : « Monsieur de Choiseul, vous avez bien engraissé… Vous avez perdu vos cheveux… Vous devenez chauve. » Ces mots dits d’une voix brève, une révérence embarrassée du duc, ce fut tout l’entretien. La réception chaleureuse de la Reine fit contraste avec cette froideur : « Monsieur de Choiseul, lui dit-elle, je suis charmée de vous voir ici. Je serais fort aise d’y avoir contribué. Vous avez fait mon bonheur, il est bien juste que vous en soyez témoin. » Monsieur se montra réservé, le Comte d’Artois aimable[1]. Le surlendemain, Choiseul reprenait la route de Chanteloup, pour ne revenir à Paris que dans l’hiver suivant. Nous l’y verrons, dans la coulisse, justifier par son jeu caché les défiances instinctives du Roi.


Pour le présent, le retour de Choiseul et la fin d’un injuste exil ne pouvaient qu’ajouter à la satisfaction publique. A chaque acte du nouveau règne, c’était comme un concert de prévisions heureuses. On louait l’activité laborieuse du jeune Roi, son exactitude aux Conseils, et son sincère amour du bien. On admirait la courtoise dignité de ses discours aux grands corps de l’Etat, — Chambre des Comptes, Cour des Monnaies, députation de l’Académie, — venus le 5 juin à la Muette présenter leurs hommages. On attendait avec une curiosité toute spéciale la réponse que ferait le Roi à la harangue des membres du parlement de Paris, afin d’en tirer quelque indice sur ses dispositions à l’égard de ces magistrats. Ses paroles brèves, intentionnellement vagues, contentèrent tout le monde et laissèrent l’espérance à tous : « Je reçois avec plaisir, dit-il, les respects de mon parlement. Qu’il continue de remplir ses fonctions avec zèle et intégrité. Il peut compter sur ma protection et sur ma bienveillance. »

  1. Souvenirs de Moreau, du marquis de Valfons ; Chronique secrète de l’abbé Baudeau ; Correspondance de Mercy-Argenteau ; Correspondance secrète de Métra, etc.