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son orgueil et déçue dans ses espérances. « Je vous avouerai bien, mandait-elle à son frère, que les affaires politiques sont celles sur lesquelles j’ai le moins de prise. La méfiance naturelle du Roi a été fortifiée par son gouverneur (M. de La Vauguyon) dès avant mon mariage… M. de Maurepas a cru utile pour son crédit d’entretenir le Roi dans les mêmes idées… Je ne compte pas sur mon crédit ; je sais que, surtout pour la politique, je n’ai pas grand ascendant sur l’esprit du Roi. » Ces amères doléances et la figure chagrine de Marie-Antoinette émurent la bonté de Louis XVI. Nul doute qu’il ne faille voir une intention consolatrice dans sa résolution soudaine d’accorder à sa femme la faveur qu’elle sollicitait dès le premier instant du règne, la grâce de M. de Choiseul, sa rentrée à la Cour.


Depuis la lettre de cachet du 24 décembre 1770, le duc était resté cloîtré dans sa fastueuse résidence de Chanteloup. Aucun effort jusqu’à présent n’avait pu décider Louis XVI à rapporter Tordre d’exil. Aux prières du prince de Conti, il opposait des raisons de convenance : eût-il été décent de « changer précipitamment les dispositions du feu Roi, » quand les cendres de ce dernier n’étaient pas encore refroidies ? A Marie-Antoinette, il demandait « un délai de deux mois, » promettant, ce temps écoulé, d’exaucer son désir. Brusquement, le 10 juin, volte-face et changement à vue. A la suite d’une scène conjugale où s’étaient succédé les reproches et les larmes, Louis se laissait fléchir et accordait la grâce immédiate de Choiseul. Mais, par un de ces retours habituels aux âmes faibles, il se vengeait de sa défaite en défendant que l’on envoyât à Chanteloup pour y annoncer la nouvelle. Le zèle du prince de Beauvau enfreignit cette défense. Choiseul, informé par exprès, montait le lendemain en berline et prenait la route de Paris.

Il y fut le lendemain 12 juin, sur les huit heures du soir. L’accueil qui lui fut fait eut quelque chose de triomphal. Une foule nombreuse, savamment surchauffée, courait à sa rencontre à la Croix de Berny ; une députation de poissardes lui apportait, avec des fleurs, un compliment de bienvenue ; de violentes acclamations retentissaient sur son passage. « M. de Choiseul, écrit une de ses ferventes[1], a été reçu dans Paris

  1. Lettres de Mme Cramer à M. de Constant, citée par M. G. Maugras dans son livre sur La disgrâce du duc de Choiseul.