Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/740

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Allemagne assista sans déplaisir aux difficultés franco-anglaises. Ce fut, pour Bismarck et ses successeurs, un instrument de règne. En se portant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, ils faisaient pencher la balance[1]. Mais il n’est pas démontré que cette tactique ait réussi davantage : puisque, en somme, la France a constitué son empire colonial ; et que l’Angleterre : 1° s’est rendue maîtresse, par l’Egypte, du canal de Suez et des communications mondiales ; 2° a tenu en échec le développement colonial et maritime de l’Allemagne, notamment en Extrême-Orient ; 3° a pris le dessus sur l’élément germanique dans l’Afrique du Sud ; et 4° a poursuivi, sans interruption, le chemin de fer du Cap au Caire, — tous résultats contraires aux vues déclarées de l’Empire et qui annulent, d’avance, pour ainsi dire, le prodigieux effort de celui-ci pour assurer son « avenir sur la mer. »

La politique allemande, dans ces affaires embrouillées, fui une suite d’avances et de voltes-faces près des deux puissances, alternativement. S’il y eut un dessein formé, il ne se découvrit jamais. On ne pouvait ni se fier tout à fait en elle, ni la négliger entièrement. Peut-être y avait-il, dans tout cela, de l’hésitation et du caprice plus qu’un calcul machiavélique. Quoi qu’il en soit, ce système continuellement mobile n’empêcha rien et ne produisit rien. La diplomatie doit savoir, un jour ou l’autre, prendre parti ; sinon, n’inspirant que le doute et la méfiance, elle reste dans la position classique du cavalier entre deux selles.

Cette procédure tatillonne du gouvernement allemand apparaît dans les événemens qui préparèrent les grandes négociations africaines de 1898. Le fameux télégramme au président Krüger avait abouti à l’abandon des Républiques du Sud par l’arrangement anglo-allemand au sujet des colonies portugaises de l’Afrique méridionale, et indirectement à l’adhésion, donnée par l’Allemagne, à l’expédition de Dongola. D’ailleurs, l’Allemagne s’était liée à l’égard de l’Angleterre, au sujet du Nil, par les ententes de 1890 et de 1893. Il n’y avait donc pas à compter sur un concours actif de ce côté. Pourtant, la politique de l’internationalisation du grand fleuve avait quelque chose de substantiel qui pouvait la tenter, et on agirait, indirectement, sur le Cabinet de Londres, comme on l’avait fait précédemment dans

  1. Sur les origines et le caractère de cette politique, voyez notre Histoire de la France contemporaine, t. IV, p. 492.