Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obligé de reconnaître que le gouvernement de la République s’y était employé activement et utilement, et il l’en a remercié. Des doutes étaient venus à quelques esprits au sujet de l’attitude de l’Angleterre qu’on avait accusée de pousser aux conflits : M. Pichon a tenu à rendre hommage au gouvernement britannique dont l’action, comme la nôtre, s’est toujours exercée en faveur de la paix, et sir Ed. Grey, dans un discours qui a eu beaucoup de retentissement, a rétabli à son tour l’exactitude des faits avec cette indépendance de jugement à laquelle les Anglais ne renoncent jamais. Il a dit qu’en effet l’opinion britannique n’avait pas approuvé l’annexion des deux provinces par l’Autriche, mais que ces impressions pouvaient être effacées par d’autres, plus favorables, et que l’accord austro-turc avait en quelque sorte découvert un pan de ciel bleu au milieu de nuages qui restaient obscurs.

L’œuvre de la diplomatie est lente et laborieuse ; il ne sert à rien de vouloir la brusquer ; on s’exposerait, en le faisant, à compliquer les choses au lieu de les dénouer et à faire naître des obstinations intraitables. Si la Porte a été habile en acceptant les offres de l’Autriche, celle-ci ne l’a pas été moins en concluant un accord que, tout compte fait, elle a payé bon marché. Elle peut aujourd’hui se tourner vers les autres puissances et leur dire : — La Porte a retiré sa protestation contre l’annexion des deux provinces ; dès lors, qu’avez-vous à objecter vous-mêmes ? — Et les autres puissances n’ont pas en effet, grand’chose à objecter. Est-ce à dire que l’Autriche soit définitivement sortie des difficultés et des embarras qu’elle s’est créés à elle-même ? Non : elle a soulevé tant de revendications et de passions que beaucoup de temps sera nécessaire pour les apaiser. L’Autriche a manqué au grand principe : quieta non movere. Il est vrai que les choses paraissaient beaucoup plus tranquilles qu’elles ne l’étaient véritablement, mais c’est pour cela même qu’il a été si dangereux d’y toucher. On voit de vieux édifices qui tiennent comme par enchantement à la condition qu’aucune main imprudente ne vienne en ébranler la moindre partie ; car alors l’ébranlement se communique partout de proche en proche, on s’aperçoit que toutes les poutres étaient pourries, et l’édifice s’effondre sur lui-même, comme s’est effondré, il y a quelques années, le Campanile de Venise. Beaucoup de revendications se taisaient, parce qu’aucune n’était formulée tout haut et surtout ne passait brusquement dans le domaine de la réalisation ; mais le jour où l’Autriche a revendiqué et annexé les deux provinces ottomanes, toutes les voix jusqu’alors muettes se sont mises