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MM. Delafosse et Cochin sont, dans la question marocaine, exactement aux antipodes de M. Jaurès. Ils croient que nous devons traiter l’Allemagne avec la plus grande correction, ménager ses intérêts, respecter ses droits, mais que nous n’avons aucun motif de lui sacrifier les nôtres, d’autant plus que rien ne prouve que nous serions récompensés de notre condescendance. Que de fois ne nous a-t-on pas dit, en Allemagne même, que le Maroc entre elle et nous n’avait été qu’un prétexte ? A défaut de celui-là, on en aurait facilement trouvé un autre. La mauvaise humeur de l’Allemagne à notre égard vient beaucoup plus des groupemens politiques qui se sont formés en dehors d’elle en Europe que de nos initiatives marocaines, et si M. Jaurès veut dissiper à tout prix cette mauvaise humeur, qu’il soit franc, qu’il aille droit au fait et qu’il nous propose, de changer nos amitiés et nos alliances, ou d’y renoncer. Il ne va pas jusque-là, il revendique même pour la France la pleine liberté de sa politique : dès lors, toutes ses belles phrases paraîtront aussi creuses à Berlin qu’elles le sont à Paris. MM. Delafosse et Cochin, l’un avec sa parole didactique et ferme, l’autre avec sa verve prime-sautière et spirituelle, ont prétendu ne parler que du Maroc et ne s’y préoccuper que des intérêts français, tels qu’ils les comprennent. Tandis que M. Jaurès conseille au gouvernement l’évacuation immédiate, l’évacuation complète et à tout prix, MM. Delafosse et Cochin estiment que l’évacuation paraîtrait une faiblesse et serait une faute ; ils la déconseillent fortement ; ils conseillent, au contraire, de poursuivre l’œuvre commencée et d’assurer définitivement à la France, par la supériorité de sa diplomatie et l’éclat de ses armes, la prépondérance à laquelle elle a droit au Maroc. M. le ministre des Affaires étrangères serait bien embarrassé pour trouver sa voie au milieu de ces contradictions, s’il n’avait pas lui-même une politique et s’il ne s’y tenait pas résolument. Certes, il a commis des fautes ; nous les avons relevées à mesure qu’elles se produisaient et nous n’y reviendrons pas aujourd’hui, à quoi bon ? Elles peuvent d’ailleurs être en grande partie réparées par une politique désormais plus sûre d’elle-même, qui, profitant de l’expérience acquise, verrait plus clairement son but et y marcherait tout droit. Cette politique, il semble bien que ce soit celle que M. Pichou a exposée dans le discours par lequel il a répondu à ses interpellateurs, et qui est certainement un des meilleurs qu’il ait prononcés.

Aux applaudissemens de la grande majorité de la Chambre, il a refusé de lui communiquer le rapport du général Lyautey dont