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et le mot de M. Rouvier risque de plus en plus de devenir une réalité. Les dernières élections sénatoriales ont marqué, en effet, une oscillation générale vers la gauche, qui n’est pas de nature à augmenter la force de résistance d’une assemblée déjà intimidée et défaillante. Les voies sont donc ouvertes à l’impôt de M. Caillaux.

Nous avons dit que la seconde partie du projet n’était pas la moins grave des deux : c’est celle, en effet, qui se rapporte à l’impôt complémentaire. Dans la première, le gouvernement et la Chambre ont établi, à l’imitation des cédules anglaises, des impôts sur chaque source de revenus. L’œuvre est très imparfaite et tout à fait inférieure à celle qu’elle remplace, mais elle était nécessaire : puisqu’on supprimait certains impôts, il fallait bien en établir d’autres, ou plutôt les rétablir eux-mêmes sous d’autres formes et avec d’autres dénominations. Malheureusement M. Caillaux ne s’en est pas tenu là. Après avoir imité l’Angleterre, il a imité l’Allemagne, car tous les systèmes d’impôts sont bons, paraît-il, excepté le système français, bien qu’il soit celui qui fonctionnait le mieux. L’Allemagne est le pays de l’impôt général sur le revenu : M. Caillaux le lui a emprunté et lui a donné le nom d’impôt complémentaire. Après avoir frappé d’une taxe spéciale chaque source de revenu, et il n’en a négligé aucune, il a fait le total et a frappé ce total lui-même. L’impôt complémentaire est la partie de la loi que les collectivistes préfèrent : ils y voient, avec raison, un instrument puissant qui leur permettra de réaliser peu à peu leurs conceptions les plus chères. D’abord cet impôt, qui ne commence à atteindre le revenu de chaque contribuable qu’au-dessus de 5 000 francs, ne frappe que le petit nombre. De plus, c’est un impôt personnel. Enfin il est progressif, et c’est là qu’est le pire danger. La progression sera relativement faible au début ; mais il suffira, pour que le taux en soit augmenté plus tard, que le Trésor ait des besoins pressans et qu’il y ait au pouvoir un ministre faible, deux circonstances qui se rencontrent à la fois assez souvent. Nous ne savons pas encore exactement quel sera le taux de l’impôt complémentaire au point de départ : la Commission a hésité entre 4 et 5 pour 100, et elle n’a pas encore dit son dernier mot. Au surplus, il n’y a jamais de dernier mot en pareille matière, et c’est là ce qui effraie. Hier, la Commission était à 4 pour 100 ; aujourd’hui elle est à 5 ; où en sera-t-on demain et après-demain ? Les collectivistes espèrent bien que l’heure sonnera où l’impôt complémentaire deviendra entre leurs mains, ou, ce qui est tout comme, entre celles d’un gouvernement auquel ils dicteront la loi, l’instrument