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« Dès notre enfance, dit-il, nous étions habitués au contraste de la mobilité de l’eau avec l’immobilité de la terre. Tous les témoignages de nos sens avaient fortifié cette sécurité. Le sol vient-il à trembler, ce moment suffit pour détruire l’expérience de toute la vie. C’est une puissance inconnue qui se révèle tout à coup ; le calme de la nature n’était qu’une illusion et nous nous sentons rejetés violemment dans un chaos de forces destructrices. Alors, chaque bruit, chaque souffle d’air excite l’attention : on se défie surtout du sol sur lequel on marche. Les animaux, principalement les porcs et les chiens, éprouvent cette angoisse ; les crocodiles de l’Orénoque, d’ordinaire aussi muets que nos lézards, fuient le lit ébranlé du fleuve et courent en rugissant vers la forêt. »

L’idée la plus précise du naufrage du moi en semblables conjonctures résulte de la vue même des sinistrés, parfois frappés de folie véritable et plus souvent privés, pour un temps plus ou moins long, de la notion des choses. Les uns sont dans une stupeur voisine du coma, d’autres se livrent à des actes qui, dans les conditions normales de leur existence, seraient d’inexplicables excentricités. C’est ainsi qu’à Nice, pour parler de visu, des bourgeois finissaient de s’habiller en pleine rue, sur le trottoir, devant leur hôtel, et poussaient l’inconscience jusqu’à envoyer la bonne chercher dans leur chambre les objets de toilette qu’ils avaient peur d’aller prendre. C’est à ce moment qu’un si grand nombre de personnes, saisies quand finissait le bal du mardi gras, se sont précipitées à l’aube naissante, à travers la ville, costumées et masquées, oubliant leurs bagages, ne rentrant même pas à leur domicile, assiégeant la gare et prenant d’assaut les trains, pour arriver encore éperdus à Paris, qui en Polichinelle et qui en Colombine.

L’absence de tout signe précurseur, la soudaineté contribuent à donner au désastre une allure très différente de la marche ordinaire des phénomènes, et c’est là sans doute l’explication de la large place faite de tout temps à la superstition dans le domaine séismique. Dans l’histoire ancienne, les tremblemens de terre soulignent souvent la gravité des grands événemens, batailles, trépas de personnages illustres. « Les Alpes ressentirent des tremblemens inconnus, » dit Virgile, peignant l’angoisse de la Nature à la mort de César. Au dire de Lycosthène, la bataille livrée sous le consulat de Sempronius aux