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j’ai souvent pensé que c’est en lisant et relisant les Adages que notre Erasme français a conçu l’idée de composer ses Essais. Les Adages, du vivant d’Érasme, en trente-six ans, n’ont pas eu moins de soixante éditions. De 1531 à 1573, les Apophthegmes ont eu au moins quatre-vingt-trois éditions successives. Comme pour les Adages, les érudits du temps, en le réimprimant, grossissaient le volume primitif de leurs apports personnels. Détail à noter, c’est surtout en France que les Apophthegmes semblent avoir été goûtés. « Sur quatre-vingt-trois éditions, quarante-neuf sont imprimées à Lyon et à Paris. En outre, plusieurs auteurs s’essaient à les traduire en français ; même, on les met en vers. » De tous côtés, on imite et l’on continue l’œuvre du vieil humaniste. Ce sont : les Detti et Fatti, de Domenichi ; les Divers propos mémorables des nobles et illustres hommes de la chrétienté, par Gilles Corrozet, souvent réimprimés au XVIe siècle, et traduits même en latin, en plein XVIIe siècle, sous le titre significatif du Nouveau Plutarque, Plutarchus alter, 1631 ; l’Officina, de Ravisius Textor ; le Theatrum vitæ humanæ, de Lycosthenes et de Zwinger ; les Leçons antiques, de Cœlius Rhodiginus ; l’Honnête discipline, de Crinitus ; les Lettres familières ou Épitres dorées, de Guevara ; la Forêt de diverses leçons, de Pedro di Mexia (Pierre du Messie) ; l’Anthologie, de Pierre Breslay ; les Œuvres morales et diversifiées, de Jean des Caurres ; le Théâtre du Monde, de Pierre Bouaystuau ; l’Académie française, de La Primaudaye. A mesure que l’on se rapproche de l’époque où Montaigne va se mettre à écrire, le genre qui tend à prédominer, parmi tous ces moralistes ou compilateurs, est celui des leçons : courtes dissertations sur divers sujets de morale théorique ou pratique, farcies d’exemples, de sentences, de citations, d’apophthegmes. N’est-ce pas déjà le signalement même des premiers « essais » de Montaigne ?

Et, de fait, ce sont bien là les modèles que Montaigne a commencé par imiter, et dont il s’est assez souvent inspiré. Que l’on prenne les essais de sa toute première manière, et qu’on les rapproche de tel ou tel chapitre des livres de Pierre Breslay