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Libertati suæ tranquillitatique et otio dicavit. Cette inscription de la bibliothèque de Montaigne nous dit assez les vraies intentions de l’écrivain, quand, après avoir vendu sa charge de conseiller au Parlement de Bordeaux, il vint s’installer dans son château et sa terre de Montaigne. Dans cette même inscription, datée du mois de mars 1571[1], il déclare qu’il a voulu consacrer sa vie à l’étude et aux Muses, in doctarum virginum recessit sinus. Il ne semble pas qu’il ait, avant cette époque, commencé les Essais. Gentilhomme lettré retiré dans ses terres, il a des loisirs, il lit, il médite, et il écrit. Et il écrit ce qui l’a frappé dans ses lectures, et les quelques réflexions que ces remarques lui inspirent : cela, très brièvement, un peu sèchement même, comme quelqu’un qui n’ose s’aventurer à exprimer et à développer sa propre pensée. Ou bien, ce sont des dissertations sans grande originalité, et toutes composées de pièces rapportées. De ce genre, sont les premiers chapitres des Essais, — exactement, et si l’on met à part le premier, les vingt et un qui le suivent, — car M. Villey a constaté que la succession des Essais suit généralement l’ordre chronologique de leur composition. D’autres chapitres du premier livre, — du trente-deuxième au quarante-huitième, — et les six premiers du second appartiennent à cette première période, qui irait de 1571 ou 1572 à 1573 ou 1574.

Ici, nous perdons un peu la trace de Montaigne. Il semble que, jusque vers la fin de 1577, il ait, relativement, assez peu travaillé aux Essais : d’autres soins paraissent avoir absorbé son activité, et l’on peut avec vraisemblance conjecturer que c’est alors qu’il « se mêle plus volontiers à la guerre. » Cependant, deux ou trois chapitres du second livre, et notamment une bonne partie de l’Apologie de Raymond Sebond ont des chances d’être de cette époque.

Vers les derniers mois de 1577, Montaigne semble s’être

  1. La date de l’année est effacée : elle n’est donc pas absolument sûre, mais le contexte la rend extrêmement probable. Elle a été déchiffrée au complet, voilà près d’un demi-siècle, par MM. Galy et Lapeyre, qui l’ont reproduite dans une brochure devenue rarissime, Montaigne chez lui, Visite de deux amis à son château, Lettre à M. le docteur Payen. Périgueux, Bounet, 1861 ; in-8. Cette brochure comprend un plan du second étage de la tour de la librairie de Montaigne, avec les sentences que l’écrivain avait fait inscrire sur les solives. Ces curieuses sentences, au nombre de 54, ont été aussi reproduites, expliquées et commentées, après une lecture nouvelle, par M. Bonnefon, dans son article déjà cité de la Revue d’histoire littéraire de la France.