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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

profonde ignorance. Passionné de plaisir et peu difficile dans ses choix, il défrayait par de fréquens scandales la chronique de la Cour, sans chercher même à sauver l’apparence au regard de sa femme, laquelle d’ailleurs, « nulle et désagréable en tout, ne comptait ni en bien ni en mal[1]. » On eût pardonné ces écarts à son extrême jeunesse ; le pire était son caractère hautain, impérieux, violent, une témérité de propos qui n’épargnait rien ni personne, et la fatale manie de jeter ceux qui l’approchaient, par la parole et par l’exemple, dans les plus fâcheuses aventures.

Louis XVI, sans faire grand cas de lui, montrait quelque faiblesse envers cet enfant étourdi et lui passait mainte incartade. Cette indulgence eût été sans danger, si elle n’avait facilité l’intimité fâcheuse de la Reine avec son beau-frère. Sans doute celle-ci, aux heures de réflexion, le jugeait-elle à sa valeur. Après un séjour avec lui : « Je suis convaincue, confiait-elle à sa mère[2], que, si j’avais à choisir un mari entre les trois frères, je préférerais encore celui que le ciel m’a donné. » Elle s’amusait pourtant de ses propos hardis, de ses folles équipées et de ses façons cavalières, tolérait de sa part de choquantes familiarités[3]. Les jours de désœuvrement et d’ennui, nous le verrons entraîner sa belle-sœur à toutes les imprudences, à toutes les inconséquences de conduite, où Marie-Antoinette laissera de sa réputation. C’est encore lui, dans les crises politiques, qui abusera de son crédit pour engager plus d’une fois la souveraine en de déplorables démarches, au détriment de sa dignité personnelle et de l’intérêt du royaume, inaugurant ainsi dès lors ce rôle d’inconscient destructeur, de fossoyeur joyeux, que, sûr de soi et le sourire aux lèvres, il poursuivra pendant tout le cours de sa vie.

C’est au milieu des tiraillemens de ces différens personnages, qui tous, à des degrés divers, avaient ou se croyaient des droits à sa confiance et à son affection, qu’un jeune roi de vingt ans allait avoir à se débattre, pour manœuvrer parmi d’innombrables écueils, et arracher le char embourbé de l’État des fondrières où s’enlizait la fortune du royaume de France.

  1. Lettre de Mercy-Argenteau à l’Impératrice, du 28 septembre 1774.
  2. Lettre du 15 décembre 1775.
  3. Mémoires inédits du comte de Saint-Priest. Passim.