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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

déplorable. Il suffit, pour s’en rendre compte, de lire ce que M. d’Invau, contrôleur général, avant de prendre sa retraite, dans un mémoire confidentiel daté de 1769, ne craignait pas de dire à Louis XV : « Les finances de Votre Majesté sont dans le plus affreux délabrement. Il s’en faut aujourd’hui de cinquante millions que les revenus libres n’égalent les dépenses… Chaque année a accumulé une nouvelle dette sur celle des années précédentes. Les dettes criardes montent aujourd’hui à près de 80 millions. Pour comble d’embarras et de malheur, les revenus entiers d’une année sont consumés par anticipation… Cette situation, concluait-il, est plus qu’effrayante. Il n’est pas possible de la soutenir plus longtemps, et nous touchons au moment où elle jetterait le royaume dans les plus grands malheurs, sans qu’il restât de moyens pour y remédier. » L’abbé Terray, successeur de d’Invau, habile et dénué de scrupules, avait procuré au Trésor un soulagement précaire, en réduisant arbitrairement le revenu des sommes dues par l’État à ses principaux créanciers ; mais ce système de « banqueroute permanente, » en irritant justement le public, achevait de détruire le crédit. D’autre part, les impôts, très inégalement répartis, écrasaient, en certaines provinces, les travailleurs et les propriétaires ruraux. Dans quelques régions des Cévennes, du Dauphiné, du Limousin, les paysans cessaient de cultiver leurs champs, les contributions, disaient-ils, dépassant le rapport des terres. Cette misère présentait un douloureux contraste avec le luxe de la Cour et les folles prodigalités de la maison du Roi.

On avait pu craindre un moment qu’une ruine irrémédiable n’atteignît le corps de justice. Les longues luttes soutenues par Louis XV contre les parlemens, le coup audacieux de Maupeou brisant la plus ancienne des institutions du royaume, et la résistance acharnée opposée pendant quelque temps à la magistrature nouvelle, avaient jeté dans le pays un trouble inexprimable. Toutefois, dans les dernières années, le calme se rétablissait un peu, les cours instituées par Maupeou faisaient de sensibles progrès dans la confiance des justiciables, et certaines négociations secrètement engagées avec les chefs les plus connus de l’ancien parlement permettaient d’espérer une pacification prochaine.

Pour être moins publiques, les discussions dans le clergé n’étaient guère moins vives et profondes. Bon nombre de prélats