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l’imagination active, propre aux compatriotes de Shakspeare, résumait ce prestigieux projet : « le rail du Cap au Caire. » On baptisait l’Afrique « les Indes-Noires[1]. »

Il serait impossible d’énumérer les preuves de l’activité nouvelle qui résulte de ce grand dessein : c’est comme une pesée de tous les agens de la grandeur britannique sur les limites de l’influence anglaise : un branle-bas général réveille les litiges, ravive les conflits. La brousse et la diplomatie voient surgir, en même temps, les grand’gardes de cette soudaine avancée.

Lord Rosebery, « l’orateur de l’Empire, » annonçait cette phase nouvelle de l’expansion britannique, dès 1888 : « Votre politique coloniale doit être un des facteurs dominans de votre politique étrangère. » Il la justifiait, en 1893 : « On voit que notre Empire est assez grand, que nous avons assez de territoires. Ce serait vrai si le monde était élastique… Nous devons considérer, non ce dont nous avons besoin à présent, mais ce dont nous aurons besoin dans l’avenir… Nous devons nous rappeler que c’est une partie de notre devoir et de notre héritage de veiller à ce que le monde reçoive notre empreinte et non celle d’un autre peuple. »

Les faits réalisent aussitôt, en Afrique, un plan visiblement arrêté et prémédité. Le premier acte avait été. en 1887, la réouverture du conflit avec le Portugal, suscité par les ambitions de la Chartered. La crise aboutit, en juin 1891, au traité imposé au Portugal, traité qui attribue à l’Angleterre les territoires aurifères des Matabélès, qui sépare définitivement la colonie d’Angola de la colonie de Mozambique, étend l’empire colonial britannique du Cap jusqu’au lac Nyassa, et qui permet, dès lors, d’établir, sur une étendue de plus de 20 degrés, le plus important tronçon du fameux transafricain.

Le second acte se joue au centre du continent. Ici, l’Angleterre se trouve en présence de l’Allemagne. Les deux puissances

  1. En octobre 1894, le rédacteur d’un journal égyptien, M. Picard, en présence des conventions signées simultanément avec l’Italie et l’État du Congo, et d’une action parallèle engagée au Bornou, définissait ainsi la conception britannique : « Ces conventions, signées par l’Angleterre, lui servent à bâtir un empire des Indes africaines, taillé à vif dans le cœur des pays qu’elle était venue protéger et d’où elle espère bien dominer, en même temps que l’Egypte, le monde entier : car, le monde appartiendra au maître de la Mer-Rouge. » Bulletin de l’Afrique française, 1894, p. 169. — Voyez aussi, dans la Revue des Deux Mondes du 1er novembre 1890, l’article de M. Eugène-Melchior de Vogué, les Indes Noires.