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relâchement ? Est-ce esprit de fausse et trompeuse économie ? L’un et l’autre peut-être. Ce qui est sûr, c’est que la multiplicité des courtes peines ne réussit guère qu’à donner à beaucoup la funeste accoutumance de la prison et que ceux qui la traversent ainsi ont le temps de s’y aigrir et de s’y corrompre sans avoir le temps de s’y assagir ou, si l’on veut, de s’y pacifier.

Si la courte peine est dangereuse, il convient donc de l’épargner le plus possible à l’homme accusé ou prévenu pour la première fois[1], mais sous la condition que la peine sera sévèrement aggravée en cas de récidive. Tel est bien l’esprit de la loi Bérenger. Il est malheureusement établi que la magistrature s’en tient à la lettre et simplifie beaucoup trop sa besogne.

En troisième lieu, lorsqu’il faut enfin priver un homme de sa liberté, il importerait de le séparer le plus rigoureusement possible de ceux qui subissent la même peine. L’emprisonnement individuel est certainement à recommander pour tout détenu ; mais là où l’on n’a pas cru devoir le généraliser, il faut absolument l’appliquer aux récidivistes. C’est une idée assez répandue qu’il vaut mieux réserver la cellule aux condamnés primaires, aux premières années d’emprisonnement, mais qu’une fois qu’on arrive aux longues peines, il y aurait inhumanité à la conserver. Cependant les longues peines, dans un système pénal bien compris, ne supposent-elles pas chez l’homme ainsi puni une violence dangereuse ou une obstination plus dangereuse encore ? Et dès lors la vie en commun, dans le confinement honteux d’une prison, ne doit-elle pas rendre fatalement les uns plus corrupteurs, les autres plus corrompus ? Au détriment de qui ? De la sécurité sociale et de l’ordre public.

Pour se débarrasser de ce souci, on avait imaginé la transportation. L’épreuve en a été longuement faite et je ne reviens pas sur les critiques de toute nature qu’elle s’est attirées[2]. Ce qui me dispense d’insister, c’est que la transportation a été successivement abandonnée par tous les peuples qui l’ont essayée (la Russie comprise), et que nous-mêmes, après y avoir inutilement dépensé des centaines de millions, nous nous sommes

  1. Encore ne faut-il pas entendre ce mot « pour la première fois » d’une façon trop libérale. L’homme qui, comparaissant pour la première fois, apparaît comme ayant accumulé contre lui, depuis longtemps, des charges nombreuses, ne doit pas être considéré et traité comme un « primaire. »
  2. Voyez mon livre le Combat contre le crime, L. Cerf.