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la question de la tentative et la question de la complicité. On sait que le code pénal de 1810 assimile au crime consommé le crime tenté et qui n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur : on sait encore que ce même code (article 59) punit les complices d’un crime ou d’un délit, de la même peine que les auteurs principaux. Il y a quelques années il était de mode de critiquer ces deux assimilations. On les jugeait excessives, et peut-être en France en eût-on voté l’abrogation, si des criminalistes éminens de Belgique, de Hollande et d’Allemagne n’étaient venus nous dire, à Paris même : « Au moment où vous vous apprêtez à renoncer à cette juste sévérité de votre code, nous, après nous en être départis, nous nous apprêtons à y revenir. »

Ces déclarations d’étrangers pleins d’autorité sont à retenir et à méditer[1]. A l’époque où nous les avons entendues (c’était en 1901, à la Société générale des prisons), nous en étions tous ou presque tous à l’adoucissement des peines, à la recherche de toutes sortes d’excuses aux erreurs, aux misères, à la folio partielle ou passagère des accusés. Tel crime n’avait pas abouti : la générosité française devait être heureuse d’avoir au moins ce prétexte au pardon et à l’oubli. On en voulait, on en veut encore aux députés d’avoir laissé exécuter Vaillant alors qu’il n’avait ni tué ni même blessé sérieusement personne. L’imagination et la sensibilité sont en cela plus écoutées que la raison. Le public qui, de nos jours, a une si grande part à la justice distributive par l’action qu’il exerce sur les magistrats à peu près autant que sur les jurés, subit surtout l’influence des représentations qu’on lui donne ou qu’il se donne de tous les détails du forfait. La tentative n’a pas abouti : le mal a été restreint. Allons, tant mieux ! Le coupable et celui qu’il visait ont eu « de la chance » l’un et l’autre. Qu’ils en bénéficient également ! Les souffrances de la victime et les suites du forfait se sont-elles trouvées plus horribles ; la douleur publique demande à être apaisée, et on trouve juste que ce soit le criminel qui en fasse les frais. La vieille idée de la satisfaction et du talion reparaît ainsi périodiquement

  1. Elles montrent une fois de plus combien est décevante l’idée d’un progrès rectiligne et continu. Au mot de progrès Le Play préférait avec raison le mot de « réforme. » Or, on se réforme le plus souvent en renonçant à des habitudes récentes dont on a expérimenté les inconvéniens et en reprenant quelques-unes de celles qu’on avait à tort abandonnées.