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justice sociale influent si directement sur les moyens de défense qu’ils se croient en droit d’adopter et de permettre. Les modifications qui s’annoncent, à plus forte raison celles qui se réalisent dans la complexité de notre organisation, n’ont pas seulement leur répercussion dans les idées courantes sur les délits contre l’ordre public ; elles ont aussi un contre-coup, moins fort assurément et moins prolongé, mais réel, dans les conceptions relatives à la répression des délits contre les personnes et des délits contre les propriétés.. On peut même dire que ces distinctions sont quelquefois délicates, et paraissent à quelques égards artificielles ; car la valeur attribuée à certaines formes de la personnalité humaine et à certaines formes de la propriété dépendent beaucoup de la place que l’opinion assigne aux unes et aux autres dans l’ordre social ou public.

Dans l’ordre public hindou, l’adultère était presque le crime capital, le crime par excellence, parce qu’il risquait de troubler les distinctions des castes, fondement de cet ordre même. « C’est de l’adultère, disent les lois de Manou[1], que naît dans le monde le mélange des classes, et du mélange des classes provient la violation des devoirs, la destruction de la race humaine et la perte de l’univers. »

En d’autres races, l’idée du droit de famille était plutôt subordonné à l’idée du droit de la cité. Dans le code d’Hamourabi, la femme n’est pas tenue à la fidélité envers un mari qui s’est enfui : « Si un mari a abandonné sa ville et si sa femme est entrée dans une autre maison, si cet homme revient et veut reprendre sa femme, parce qu’il a dédaigné sa ville et s’est enfui, la femme du fugitif ne retournera pas avec son mari. » Nos codes ne nous offrent-ils pas comme une ombre affaiblie de cette prescription dans l’article de notre code civil qui n’oblige la femme à suivre son mari que sur le territoire français ? L’idée religieuse qui associe le mari et la femme à jamais pour les choses divines et humaines ne subordonne point la foi conjugale à des considérations d’ordre purement humain. Mais l’excès d’individualisme où nous sommes arrivés n’a pu qu’ébranler radicalement cette idée de la fidélité. Si la punition de l’adultère figure encore dans nos codes, elle n’y est plus guère qu’une fiction ; si elle est réclamée et appliquée, ce n’est pas pour assurer le respect du

  1. Livre VIII, stance 353.