Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 49.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Une part du Levant s’attendrit d’améthyste,
Où vient d’éclore à peine un astre adamantin,
Et j’imagine, ainsi qu’un fraternel destin,
La solitaire étoile en son infini triste

Tout demeure imprégné d’irréelles couleurs :
Mais, comme s’il neigeait quelque impalpable cendre,
Je sens une plaintive angoisse en moi descendre
Et la douleur du soir se fondre en mes douleurs.

O nostalgique soir, vers qui l’âme s’élance ;
Dont le mystère attire alors que tout s’est tu,
Sur la plaine immobile, ô soir, comment fais-tu
Une telle harmonie avec un tel silence ?

Dans quelle transparence élyséenne, ô soir,
Veux-tu que le Croissant baigne sa pâle face,
Quand ton doigt solennel estompe, puis efface
La colline plus vague et le vallon plus noir ?

De quel tulle soyeux composes-tu la trame
Qui souple ondule et glisse et flotte et vêt les eaux,
Les bois, les prés, les champs, de fluides réseaux,
Tandis qu’émus le bœuf appelle et le cerf brame ?

Retrouverai-je, ô soir, dans l’espace et le temps,
La minute d’extase et de mélancolie
Par une autre minute ici-bas abolie,
Où j’eus la vision des choses que j’attends ?

Evoquerai-je, épris d’une espérance vaine,
Dans un siècle à venir, la cruelle douceur,
L’inapaisable amour, le délire obsesseur
Dont la brûlure allume une fièvre en ma veine ?

Ou plutôt, épuisant l’antique Sablier,
Pour mettre un terme à tant de voluptés amères
Quel soir m’accordera, pitoyable aux chimères,
La grâce de mourir et celle d’oublier ?