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de frémir quand on songe aux motifs d’ordres divers qui ont porté ce ministre lui-même au pouvoir. Il dit blanc, la Chambre vote blanc ; son successeur dit noir, la Chambre vote noir ; un des deux se trompe, mais lequel ? la Chambre n’en sait rien et se sent incapable de le découvrir. Un jour arrive enfin où un incident imprévu fait tomber un jet de lumière sur un point particulièrement faible. Alors on s’émeut, on se remue, on s’agite, on procède fiévreusement à quelques mesures qui sentent l’improvisation. Et tout cela constitue un détestable régime dont notre marine A’est malheureusement pas la seule à souffrir.

Le cas de l’amiral Germinet devait être porté à la tribune. Plusieurs interpellations ont été déposées : elles se sont terminées, on le sait déjà, par le vote d’un ordre du jour de confiance dans le gouvernement. La discussion avait cependant été bien conduite, d’abord par l’amiral Bienaimé qui, parlant en brave homme et en marin, avait ému la Chambre sur linfortune imméritée d’un camarade ; puis par M. Violette, socialiste indépendant, qui a très bien posé la question en disant que l’amiral Germinet avait sans doute encouru une peine disciplinaire, mais que celle qui l’a frappé était excessive ; enfin par M. Georges Leygues qui a répliqué en bons termes à M. le président du Conseil. Celui-ci a montré quelque embarras pour défendre l’acte qu’il venait d’accomplir. Il a débuté par un véritable hors-d’œuvre où il a dit qu’après nos désastres, il avait cru, lui, tout jeune à cette époque, que la France ferait un grand effort pour les réparer, et qu’il devait constater après trente-huit ans que cet effort n’avait pas été fait : exorde pénible pour ceux qui l’entendaient, inexact sur bien des points, propre à soulever des questions qu’il était imprudent de traiter, et par-dessus tout inutile, car il n’avait aucun rapport avec la question. M. Clemenceau s’en est rendu compte, et n’a pas insisté : il a parlé alors de la discipline et de la nécessité de la maintenir à tout prix. Ceux qui ont charge de l’imposer à leurs subordonnés, doivent, a-t-il dit, la respecter les premiers, sans quoi d’où pourrait venir leur autorité ? C’était, pour M. Clemenceau, s’aventurer sur un terrain dangereux : il a pu s’en apercevoir à quelques-unes des interruptions qui lui ont été faites, et dont l’une a visé le colonel Picquart d’autrefois, devenu aujourd’hui ministre de la Guerre, et une autre M. Clemenceau lui-même que son passé ne désignait pas pour remplir impitoyablement ce rôle de justicier. — Le colonel Picquart n’a jamais manqué à la discipline, a déclaré M. Clemenceau. — Cette assertion étonne, nous ne voulons