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de celui-ci ont exprimé le désir de voir élever une croix sur son tombeau : mais M. William Rossetti déclare que, « ses propres opinions personnelles » ne pouvant s’accommoder de cette intervention d’une croix, force lui est de se désintéresser du monument projeté ; et Christina, toujours tremblante à l’idée de lui déplaire, s’empresse de répondre que sa mère et elle « retirent absolument leur proposition.» Et puis, les enfans de William grandissent, tenus à l’écart d’une tante qui n’a rien aimé en ce monde autant que les enfans, mais dont on craint qu’elle ne leur donne le dangereux exemple de son « christianisme. » Leur tante n’a pas même le droit de leur écrire, ou tout au moins de faire, devant eux, la moindre allusion à ses croyances pieuses. Lui arrive-t-il, dans ses rares entretiens avec sa belle-sœur, ou dans les lettres infiniment tendres qu’elle lui écrit, de regretter que les enfans de son frère ne soient pas baptisés : tout de suite il en résulte une nouvelle scène. Et l’admirable femme ainsi rebutée baisse silencieusement la tête, sous ces humiliations ; mais parfois, dans l’excès de sa peine, une plainte lui échappe, aussitôt réprimée. « Il y a des momens, — avoue-t-elle à son frère, — où il me semble contre nature, tandis que je vous aime autant que je le fais, de n’être jamais admise à vous dire un seul mot des sujets qui remplissent et colorent ma vie. » Quelle intensité de détresse, dans ce timide aveu ! Et peut-être plus déchirantes encore, dans une autre lettre à son frère, ces deux lignes finales, où se révèle à nous tout entier le grand cœur « chrétien » de Christina Rossetti : « Mon amour à quiconque m’aime, parmi vous ; mais non, en vérité ce que je dis là est par trop païen ! Mon amour à tous ceux qui m’aiment ou qui ne m’aiment pas ! »

Mais ne nous avisons pas de la plaindre : elle-même se rendait compte d’avoir, en somme, obtenu la meilleure part. Condamnée à vieillir, à mourir, dans la solitude, tenaillée pendant des années par un mal effroyable, — et dont l’idée lui avait toujours été particulièrement en horreur, — chaque jour nous la voyons se félicitant « des petits intérêts et des petits plaisirs » qui remplissent, pour elle, le « sombre recoin » où s’achève sa vie ; et il n’y a pas jusqu’aux pires souffrances que son âme de poète ne transforme, sans effort, en « subtiles joies, » accoutumée à les tenir pour « un miroir » enchanté qui lui montre « la face du Christ et la sienne intimement unies. « 


T. DE WYZEWA.