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Le lourd fardeau des ans ne le courbait qu’un peu ;
Son bras dressait vers Dieu le dôme de Saint-Pierre !
Longtemps sculpter un mont tout entier — fut son vœu.

Des êtres, que son œil devinait dans la pierre,
Sous son marteau rapide en sortaient lentement,
Puis, tout à coup, vers lui soulevaient leur paupière.

Des formes, par milliers, dans le marbre opprimant,
L’appelaient à grands cris pour être délivrées,
Et leur détresse était son éternel tourment.

Quand tombaient en débris leurs prisons effondrées,
Ces esclaves gardaient parfois les bras tordus,
D’avoir été longtemps trop à l’étroit murées.

Tu souffrais de leurs cris nuit et jour entendus,
O peintre des damnés, puissant frère du Dante,
Sublime créateur d’êtres inattendus !

Tu devais donc avoir une vieillesse ardente
Et subir, âme forte en un corps fléchissant.
Près de mourir, l’horreur d’une vie abondante.

Tu méprisas l’amour, dans l’âge adolescent,
Car un héros se doit à sa mission sainte ;
Seul l’attrait du chef-d’œuvre avait brûlé ton sang.

Vers le maître d’en haut tu retournais sans crainte ;
Dans les ciels purs, ou meurt tout bruit venu d’en bas,
Ton génie emportait ton âme hors d’atteinte.

Mais l’amour, c’est le dieu qui ne pardonne pas ;
A soixante-dix ans le titan Michel-Ange
Vers une femme en deuil tendait en vain les bras.

L’heure vient où l’amour qu’on dédaigna se venge ;
C’est lui qui blesse Hercule et le jette au bûcher ;
Michel-Ange par lui souffre un martyre étrange :

Il porte en pleine chair le trait du fauve archer.
Vittoria Colonn’ apparaît, pâle et triste...
Il ne peut plus la fuir et n’ose l’approcher.