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présence : « Je dis : Quand Votre Majesté et Monsieur me parlerez en maîtres, comme vous faites, je ne puis qu’obéir… J’ai si mal à la tête, que je ne puis en écrire davantage… » Nous savons le reste par Saint-Simon ; le mariage du jeune prince avec lequel il avait été « comme élevé[1] » forme presque le début de ses Mémoires.

Le Duc de Chartres n’avait pas osé dire non au Roi, et Madame était rentrée chez elle outrée : « Monsieur son fils l’y suivit incontinent, auquel, sans donner le moment de lui dire comment la chose s’était passée, elle chanta pouille, avec un torrent de larmes, et le chassa de chez elle. Un peu après, Monsieur, sortant de chez le Roi, entra chez elle, et, excepté qu’elle ne l’en chassa pas comme son fils, elle ne le ménagea pas davantage : tellement qu’il sortit de chez elle très confus, sans avoir eu loisir de lui dire un seul mot[2]. »

Le soir de ce même jour, 9 janvier, le Roi déclara le mariage à ses proches, chez Mme de Maintenon et en présence des deux jeunes gens. La nouvelle se répandit soudain dans les salons. On se groupa, on se regarda ; chacun guettait l’entrée des fiancés et de leur famille. Ces augustes personnes parurent enfin, Monsieur, l’oreille basse et l’air honteux, le futur, la mine désolée, la future, « dans un embarras et une tristesse extrême ; » elle avait quinze ans, ne se doutait de rien une demi-heure auparavant, et sentait peser sur elle la désapprobation publique. Quant à Madame… « Madame se promenait dans la galerie avec Châteautiers, sa favorite[3]… ; elle marchait à grands pas, son mouchoir à la main, pleurant sans contrainte, parlant assez haut, gesticulant, et représentant fort bien Cérès après l’enlèvement de sa fille Proserpine, la cherchant en fureur et la redemandant à Jupiter. Chacun, par respect, lui laissait le champ libre, et ne faisait que passer… Nul ne fut assez hardi pour lui parler du mariage[4]. »

Il fallut souper avec le Roi : « Madame avait les yeux pleins de larmes, qui tombaient de temps en temps, et qu’elle essuyait de même… Monsieur son fils avait aussi les yeux bien rouges,

  1. Mémoires, éd. in-8, I, 28.
  2. Pour toute cette partie, voyez Mémoires, I, p. 68 et suivantes.
  3. Anne, fille de Roland de Foudras, comte de Châteautiers.
  4. Cette dernière ligne est tirée d’une Addition à Dangeau, pour le 10 janvier 1692.