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incombaient au nouveau régime ; au point de vue territorial, elle est faite : les « Jeunes-Turcs » n’ont pas à le regretter. Les principes qu’ils ont fait triompher comportent des applications dans la question des nationalités ; la Turquie libérale ne peut pas imposer son joug, par la force, à ses anciennes provinces devenues indépendantes. On ne saurait être « Jeune-Turc » et raisonner comme un janissaire. Le dommage matériel, rachat du chemin de fer, tribut de la Roumélie orientale, part contributive de la Bosnie à la dette de l’Empire, peut être sans grande difficulté évalué en argent. On peut déjà prévoir un accord entre Sofia et Constantinople. Le « boycottage » des marchandises austro-hongroises dans l’Empire ottoman est la conséquence des procédés employés par le Cabinet de Vienne pour réaliser l’annexion ; mais les Turcs ont le plus grand intérêt à mettre fin le plus tôt possible à cet état de trouble qui pourrait devenir dangereux pour eux et qui les empêche de se livrer en paix à leur tâche la plus urgente, la réorganisation interne du pays.

Une Autriche-Hongrie forte, tranquille à l’intérieur, poursuivant dans la paix son évolution démocratique, non seulement ne saurait porter ombrage à la France, mais elle lui apparaît comme un élément nécessaire de stabilité et d’équilibre. Nous n’avons pas, avec l’Autriche, de graves divergences d’intérêts ; nous ne sommes voisins nulle part ; nous savons que si l’Autriche fait partie d’une combinaison politique et militaire dont l’un des fronts est tourné contre la France, elle s’efforcera de ne pas se trouver dans le cas de marcher contre nous. En ces dernières années elle a joué en Europe, — notamment à Algésiras, — un rôle utile de médiation et de conciliation. Nos rapports avec elle sont des meilleurs, et nous avons à cœur de les maintenir tels ; nos sympathies n’ont pas fait défaut à l’Autriche d’hier, elles ne manqueront pas d’aller à l’Autriche de demain. Le président Fallières a été des premiers à répondre en termes cordiaux à la lettre de l’empereur François-Joseph. La France, en effet, reconnaît que, après trente ans d’occupation, l’annexion n’aurait pas paru choquante si le baron d’Æhrenthal n’avait pas oublié qu’en toutes choses il y a « la manière ; » elle pense aussi que l’Europe peut ratifier le fait accompli, si l’Autriche veut bien admettre qu’il y a eu des droits lésés, des intérêts alarmés, des espérances trompées, des susceptibilités blessées et que,