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qu’ils se sont décidés à la mesure brutale de l’annexion. Le peuple serbe est divisé en deux grandes masses presque égales comptant chacune environ 3 millions et demi d’âmes ; l’une est en Autriche-Hongrie, l’autre constitue le royaume de Serbie et le Monténégro. Selon que les 1 700 000 Slaves de la Bosnie-Herzégovine s’adjoindraient à l’un ou à l’autre de ces deux groupes, la masse principale de la nationalité passerait d’un côté ou de l’autre : c’est ce que le Cabinet de Vienne a parfaitement compris ; en réalisant l’annexion d’un territoire aussi grand que la Serbie et le Monténégro réunis (57 000 kilom. carrés), il a placé dans l’empire austro-hongrois le centre de gravité de la nationalité serbe. Dès lors, l’union panserbe ne peut plus s’opérer que dans l’intérieur de la monarchie et sous ses auspices ; l’autre fraction de la nation, si elle ne veut pas rester éternellement disloquée, n’a plus qu’à se jeter dans les bras de l’Autriche et à implorer son admission dans l’Empire, ou bien à se ruer sur lui, les armes à la main, dans une attaque désespérée et à vaincre ou à subir une conquête qui, du moins, referait l’unité serbe. C’est l’une ou l’autre solution que l’on espère à Vienne. L’annexion de la Bosnie n’est qu’une étape dans l’absorption de toute la race serbe : or, il y a des Serbes jusqu’à Uskub, jusqu’à Monastir. Un haut fonctionnaire autrichien disait dernièrement : « Connaissez-vous le traité de Passarowitz ? Nous tendrons, par l’annexion de la Bosnie, à la réalisation de ce traité du côté de la Serbie. Notre but est de créer dans les Balkans un Etat slave catholique assez puissant pour faire contrepoids à l’influence russe. La Serbie devra nécessairement rentrer dans les limites du traité de Passarowitz[1]. » Que l’Europe ne s’en laisse donc pas imposer par l’évacuation des trois petites garnisons que l’Autriche entretenait à l’extrême-Nord du sandjak de Novi-Bazar ; cette évacuation n’est qu’un trompe-l’œil ; la convention de janvier dernier, relative au chemin de fer, subsiste ; d’ailleurs, pour descendre en Macédoine, la route du sandjak est difficile ; la voie que l’état-major autrichien a depuis longtemps étudiée, choisie, ce sont les quatre grandes routes et la voie ferrée qui, à travers la Serbie, descendent tout droit sur Uskub. C’est le chemin de toutes les invasions ; les troupes autrichiennes le suivront un jour ou

  1. Par le traité de Passarowitz (1718), l’Autriche annexait le banat de Temesvar, la Petite-Moldavie jusqu’à l’Aluta et tout le Nord de la Serbie avec Belgrade.