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à les gagner par de bons procédés ; ils parurent, d’abord, y avoir réussi ; mais l’administration se fit si tracassière, ses tendances devinrent si nettement germaniques, que les anciens begs se souvinrent de leurs origines et qu’un rapprochement se fit entre les deux fractions si longtemps ennemies.

La minorité croate et catholique a préparé l’annexion ; l’archevêque de Serajevo, Mgr Stadler, qui a dirigé la propagande en Bosnie, en a été l’un des plus zélés promoteurs ; son rêve serait d’unir, dans la foi catholique et dans la monarchie habsbourgeoise, toute la famille des Slaves du Sud ; mais sa politique, se réclamant du patronage ostensible de Vienne, est suspecte aux Serbes pour qui la foi orthodoxe apparaît comme la sauvegarde et le lien de leur nationalité. Combien il était mieux inspiré, ce grand chrétien, ce patriote clairvoyant qu’était Mgr Strossmayer, quand il préconisait l’union des Slaves du Sud dans une confédération où chaque fraction de la famille conserverait sa religion et son individualité !

Le baron d’Æhrenthal allègue qu’il s’est résolu à l’annexion parce que, tant que les deux provinces ne faisaient pas partie intégrante de l’Empire, il était impossible de leur donner des institutions représentatives ; mais, en attendant, une véritable persécution sévit contre tous les Serbes, avec des procédés qui rappellent Metternich et le temps où les patriotes italiens remplissaient les cachots du Spielberg. Les patriotes serbes, les publicistes courageux qui ont osé blâmer l’annexion, sont enfermés dans la forteresse d’Arad : que l’Autriche prenne garde qu’il ne surgisse parmi eux un Silvio Pellico ! Le journal serbe de Serajevo, le Peuple, a cessé de paraître ; ses derniers numéros ne contenaient plus que le titre et les annonces, la police ayant supprimé les articles. Enfin le fameux procès du complot panserbe, à Agram, dont tout le scénario a été imaginé par un agent provocateur, nommé Nastitch, le même qui a machiné le procès de Cettigne, n’est pas terminé ; des accusés serbes ont tenté de se laisser mourir de faim parce que, depuis plusieurs mois, ils étaient détenus sans avoir été ni jugés ni interrogés. Un pareil régime ne semble pas de nature à concilier à l’Autriche les sympathies de ses nouveaux sujets.

Les gouvernemens de Vienne et de Budapest feignent d’ignorer la nationalité serbe ; en réalité, c’est parce qu’ils connaissent les progrès du sentiment national parmi les Sorbes,