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était venu le chercher en voiture. Aime-t-il Mme Arconati ou sa sœur ? Voilà ce que je pensai. Je souffrais durant toute celle conversation. Nous nous assîmes dans deux endroits différens. Nous parlâmes de Fauriel. Il dit qu’il l’aimait beaucoup, qu’il ne voyait pas la vie de la même manière que Fauriel, que Fauriel m’aimait beaucoup, bien plus que lui, Cousin, n’aimerait aucune créature. Je lui dis que si je lui avais dévoué trois ans de ma vie, il m’aurait aimée autant, que cet amour avait fait du bien à Fauriel. Il répondit que non ; puis quelque temps après, je lui dis que Fauriel avait eu de l’amour pendant trois ans sans passion, et il eut l’air de l’envier. Il dit : « Oui, Fauriel a attendu assez longtemps avant de trouver quelqu’un qui pût lui inspirer de pareils sentimens. Je ne trouverai jamais ! » Je lui disque je lui souhaitais d’être trompé par les femmes, parce qu’il n’appréciait pas assez la transparence de mon caractère. Il me dit : « N’ayez pas peur, cela ne me manquera pas, et je l’ai déjà été ; ainsi je le supporterais encore. » En tout, je l’ai trouvé sec et dur. Il m’a dit que j’étais maladive avec lui. C’est vrai, tout me blesse. Je lui dis que si je n’étais pas guérie avant mon retour, je ne reviendrais pas. Il répondit : « Vous avez raison, j’espérais vous voir chaque jour quand je demeurerai près de vous. » Je ne me rappelle pas au juste chaque réponse, mais l’ensemble témoignait une détermination d’oublier entièrement tous ses discours d’autrefois, de notre pour moi qu’un ami de loin, de me persuader qu’il n’avait jamais eu d’amour pour moi. De temps en temps seulement, une parole bien vague pouvait être ou n’être pas interprétée dans un sens différent. Est-il vrai qu’il ne m’ait jamais aimée ? Mais qu’importe ? Ne suis-je pas depuis longtemps déterminée à guérir ? Je sentais mon cœur se serrer chaque moment davantage, et pourtant le charme inexprimable de sa présence m’empêchait de souffrir autant que quand je suis seule et que je repasse ses cruelles paroles. Au bout de deux heures et demie, il me reconduisit jusqu’à la porte. Je rends grâces à Dieu de ne pas avoir cherché à prolonger notre promenade. C’est lui ; mais je n’eus pas le courage de résister à la tentation de le prier de venir à cinq heures me voir. Il me dit qu’il viendrait samedi. J’eus la faiblesse de le prier de venir aussi vendredi. Il est vrai qu’il avait dit : Je viendrai un soir avant. Et puis je revins l’âme remplie d’amertume. Ne pouvant rester seule, j’allai chez Mme Belloc, que je trouvai