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futur est vide, le passé m’irrite, j’ai un besoin dévorant de vous voir pour me plaindre, et ma raison me dit : Qu’y gagnerai-je ? J’ai un besoin dévorant de justice ; ce que vous m’avez dit sur Cousin m’irrite, car, dans le fond de mon âme, je sais que c’est injuste. Je ne l’ai pas assez dit parce que j’ai eu pour, et que j’use, sans cesse, de politique envers vous, tant je crains de perdre le peu qui me reste, et je sais que rien ne vous est odieux comme de voir que vous avez tort. Je passe mes journées et mes nuits à repasser ce que vous m’avez dit, et les duretés sont gravées comme des sillons. Je change vingt fois par heure de résolution, car, comment vivre ? Mais comment ma pauvre mère supporterait-elle de me trouver morte ! J’aurais eu besoin d’une grande indulgence, d’une grande tendresse lorsque j’ai appris l’horrible vérité[1], le 24 janvier ; j’aurais eu besoin que depuis vous m’eussiez traitée comme un enfant malade, que vous fussiez venu souvent, que vous m’eussiez consolée. A votre place j’aurais fait dire que j’étais malade et je ne me serais occupé que d’un être aussi malheureux. Pour moi, je n’ai pas hésité, moi, à déclarer à maman que je me jetterais à l’eau si elle ne revenait pas en France lors de la mort de Mme de Condorcet, et lorsque vous avez été malheureux pour Cousin, je vous ai offert toute ma personne ; oui, vous devez vous en rappeler, et c’était lorsque vous souffriez parce que je ne vous aimais pas. Mes heures étaient à vos ordres. A cela votre réponse est prête : j’étais honteuse de vous rappeler tout, quand nous en avons parlé. Vous valez mieux que moi, car j’étais prête à tout donner lorsque je vous voyais malheureux et vous n’avez pas négligé le plus léger de vos devoirs. Mon Dieu, donnez-moi la force de ne plus vous voir, aidez-moi, je suis la plus faible des créatures !


le 8 mars [1826].


Mary Clarke à Claude Fauriel


Mercredi.

Cher ami,

Je vous prie de dîner ici, vendredi. Je vous écris, ce matin, de crainte qu’avant ce soir, vous ne vous engagiez quelque

  1. Nous n’avons pu découvrir ce qu’était cette horrible vérité. » Sans doute, il s’agissait de quelque infidélité de Fauriel, qui ne prenait pas beaucoup de peine, semble-t-il, pour dépister la jalousie de son amie.