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l’imagination est insatiable ; j’ai trouvé presque tout ce que je pouvais désirer, et quelques petits manques m’empêchent encore d’être satisfaite. J’ai besoin de quelque chose d’effréné dans la passion et d’une frénésie mu lu elle, je ne l’ai sentie que par moment ; et souvent le moment où j’étais remplie d’une tendresse passionnée, elle n’était pas partagée. Et pourtant D[icky] m’aime plus que je ne l’aime ; oui, mais il y a manque du Lion. C[ousin] me fait l’effet de pouvoir aimer ; ainsi il est d’une pureté très grande, à ce qu’on me dit. C’est dans la pureté que se loge la passion. Mais devrais-je m’occuper de C... ? Ne suis-je pas liée ? Je voudrais voir ; — je veux voir s’il n’y a rien au théâtre ce soir, qui puisse me distraire, je veux bannir ces exécrables rêveries de mon âme.


31 décembre.

Assez triste hier matin, je me suis forcée à aller au Louvre. J’y ai travaillé avec plus d’application que je n’ai fait depuis que j’ai quitté Cold Overton et senti un peu moins de tristesse. Je ne puis m’empêcher de repasser sans cesse le discours de Thiers ; quelle bêtise et que je me hais ! Joséphine est revenue dîner ; j’ai parlé au portier avec un effort inouï, et après, cela n’en valait pas la peine. Je me suis sentie languissante toute la soirée... Que ne puis-je vivre dans les livres et les idées tout entière ! J’ai tâché de penser à un autre monde, l’idée de vivre dans les étoiles m’est apparue vivement pour un moment ; j’ai compris que je pourrais peut-être, en changeant de nature, n’avoir aucun désir hors de ma volonté, que l’imagination, au lieu d’être sans cesse à se fixer sur ce que je n’ai pas, se fixera sur ce que j’aurai. Malheureuse, ce serait peut-être en mon pouvoir d’être comme cela ici ; ou si mon âme change de place, pourrait-elle vivre dans un tel état de choses ? — C’est aujourd’hui le dernier jour de l’année, voyons ce que je serai d’aujourd’hui en un an ; mais Dieu me préserve de voir l’avenir ! Je priai Dieu hier de ne pas me faire vivre plus de dix ans de plus, mais surtout je voudrais me préparer ; mon Dieu, accordez-moi la sagesse !


Le 2 janvier.

Je ne comprends pas pourquoi je suis dévorée d’ennui, mais dévorée au point que la vie m’est à charge. Je maintiens avec moi-même un combat continuel pour tâcher de m’intéresser à