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si je pouvais être pour vous ce que vous méritez ; les charmes de votre esprit et la beauté de votre âme me firent éprouver pour vous un sentiment que je n’avais jamais eu pour personne et dont je ne me croyais plus capable. Quand vous daignâtes me montrer le désir d’unir votre destinée à la mienne, je ne fus retenu que par la terreur de faire quelque chose de téméraire et de peu délicat, à raison de l’incertitude de mon état et de mes moyens d’existence. Je vous priai de me permettre de ne point accepter le bonheur que vous me proposiez, avant d’avoir tenté quelque chose, pour acquérir, non de la fortune, je sais m’en passer, mais l’assurance d’un nécessaire honnête ; et j’ai poussé depuis la témérité jusqu’à la résolution d’être à vous, lors même que mes tentatives pour améliorer et assurer un peu ma situation ne seraient pas heureuses. Je conviens qu’un tel projet laissait quelque incertitude dans notre avenir ; mais enfin, j’étais bien sincèrement décidé à le rapprocher le plus possible ; et je n’avais rien pu de plus pour mon bonheur, ni pour le vôtre. Voilà ce que vous saviez de moi, et c’aurait dû être assez pour m’éviter le reproche de votre part, de vous tenir dans l’ignorance de mes intentions en toutes choses, et de vous opprimer. Je vous rappelle mes sentimens, mes paroles et ma conduite pour vous dire qu’en tout je suis encore le même pour vous. Mais l’espèce d’effroi et la défiance de moi-même que m’ont inspirés vos plaintes, vos occupations et l’aveu de votre changement à mon égard, ne me permettent plus les illusions trop douces que je me suis faites jusqu’à ce jour, et auxquelles je suis déjà revenu plusieurs fois par faiblesse, après avoir plusieurs fois tâché de les écarter : comment me flatter encore de pouvoir quelque chose pour votre bonheur, ne faisant rien, ne disant rien qui ne vous afflige, qui ne vous irrite, et qui ne m’attire des reproches qui sont le trouble et le désespoir de ma vie ?...


IV. — SÉPARATION


Claude Fauriel à Mary Clarke.


Milan, le 4 mai 1825.

... Que vous dire maintenant de moi, chère amie ? J’ose à peine vous en parler. Depuis le jour odieux où je suis resté seul dans cette cruelle voiture qui m’a apporté ici, je me suis