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que je suis méchante, mais je compte dorénavant beaucoup occuper mon esprit, afin de n’avoir plus le temps de vous tourmenter, car je ne pi.is vous promettre de ne plus le faire. Sans cela, je me connais trop bien, et à présent, je ne crois jamais un mot de ce que je dis[1].


Claude Fauriel à Mary Clarke.


Milan, mardi 12 octobre 1824.

Chère amie, il serait bien moins triste de ne pas s’écrire, que de s’écrire pour ne pas s’entendre et pour se faire du mal. Je suis au désespoir de tout celui que vous me dites que je vous ai fait, de tous les contretemps que vous éprouvez à cause de moi ; mais il faut que j’aie eu la tête ou la conscience tout de travers, car il m’est impossible de comprendre comment ce que vous avez souffert résulte véritablement de ce que j’ai fait. Mais, pour me croire innocent, je n’en suis pas moins triste et tourmenté à l’excès de savoir que vous l’êtes. Il faut que je me sois bien mal expliqué dans mes lettres, quand il s’est agi du voyage de Florence, pour avoir donné lieu à tout ce que vous me reprochez dans votre dernière lettre. Quand j’ai songé à aller à Florence seul et à part de mes amis d’ici, je n’ai eu d’autre idée que celle de me rapprocher de vous, et de jouir de nouveau de la douceur de vous voir et de vous retrouver ; ç’a été du moins là mon idée première et dominante ; car, bien que mon projet soit de ne point quitter l’Italie sans avoir vu Florence, il n’y a, pour moi, rien de pressé dans ce projet, mais dans le moment actuel ce projet a toujours été subordonné aux vôtres ; je n’ai jamais songé à être à Florence, en y allant seul, que pour y être avec vous ; et vous, vous m’avez toujours écrit que vous n’y resteriez qu’à condition de vous y plaire beaucoup, votre maman et vous ; et il y avait dans cette condition bien des choses qui ne dépendaient nullement de moi, et qui rendaient

  1. Les lettres de cette période sont remplies de plaintes et de récriminations. Fauriel n’a aucune hâte de rejoindre son amie, qui l’attend à Florence, en s’ennuyant. Il profite de son séjour à Milan pour se faire opérer de l’« incommodité » qui lui grossissait le nez : les suites de l’opération, plus longues qu’il ne l’avait prévu, lui fournissent un motif — ou un prétexte — de retarder encore le moment de la réunion. La lettre qui suit, avec ses explications embarrassées, résume assez bien leur état d’esprit respectif.