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Madame ne paraît pas en avoir jamais saisi l’importance. Elle s’était intéressée aux biens d’Eglise à cause de sa tante ; le reste l’avait laissée indifférente. Pour elle comme pour les siens, les conversions raisonnables étaient toujours des marchés. Se faire catholique moyennant un bon évêché, « cela en valait bien la peine[1], » ainsi qu’elle l’écrivait à la duchesse Sophie. Si cela ne rapportait rien, à quoi bon ? Il y avait un moyen plus simple que la réunion des deux Eglises d’assurer la paix religieuse ; c’était de ne pas s’occuper « de ce que croient les gens[2], » et de les laisser « aller à l’église où il leur plaisait… sans y trouver à redire. » Moyen admirable en effet, et qui n’avait d’autre défaut que d’être impraticable. Laisser « chacun croire en paix ce qu’il lui plaît[3], » cela ne s’est jamais vu, ni en religion, ni en politique, ni en rien, et cela ne se verra jamais.

Autre motif de ne pas se tourmenter de ce grand projet ; Madame était convaincue qu’il échouerait. « Je ne me figure pas, déclarait-elle en 1695, que le bon (Molanus) vienne de sitôt à bout de réunir les religions ; quand il y a des intérêts en jeu, il est rare que l’on cède[4]. » Elle ajoutait, certainement sans se rendre compte de la brutalité de son insinuation, car elle aimait beaucoup Bossuet, qu’elle trouvait « amusant : » « Je ne crois pas que M. de Meaux lui-même le souhaite ; si tout le monde était de la même religion, les évêques et la prêtraille n’auraient plus rien à dire. »

Il va de soi que les affaires religieuses de notre pays la touchaient encore moins que celles de l’Allemagne. La révocation de l’Édit de Nantes fut signée le 18 octobre 1685. Le lendemain, « M. le chancelier scella… la cassation[5], » qui devint aussitôt publique et fut la grande nouvelle du jour. Sauf pour Liselotte ; le 1er novembre, elle écrit à sa tante, lui parle de ses affaires d’héritage, de ses ennemis : de la révocation, pas un mot. La correspondance se poursuit : même silence. Ce n’est pas, au moins, que Madame approuve ce qui se passe. Il était impossible d’avoir une tolérance plus large et plus sincère. Les

  1. Lettre du 6 décembre 1687.
  2. Du 22 janvier 1697, à la raugrave Louise.
  3. Du 21 décembre 1698, à la duchesse Sophie.
  4. Du 7 avril 1695, à la duchesse Sophie.
  5. Journal de Dangeau, du 19 octobre 1685.