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de l’Empire allemand à Versailles. » Elle m’a semblé constituer une des parties les plus saisissantes et les plus originales de cet important ouvrage, à laquelle je pouvais apporter quelque contingent de recherches et d’observations nouvelles. Rien, à mon avis, ne montre mieux à la fois la volonté intrépide, la ténacité puissante, l’énergie extraordinaire du chancelier allemand qui, en face des plus difficiles épreuves auxquelles un homme d’Etat puisse être exposé, osa tenir tête à son Roi, au prince royal, aux princes allemands, aux représentans du Reichstag et des autres Parlemens, aux courtisans et aux conseillers de tout ordre, et parvint à triompher de leurs jalousies, de leurs susceptibilités, de leurs exigences et de leur opposition ouverte ou cachée pour atteindre le but qu’il s’était proposé. C’est ce que nous allons voir de près.

Au bruit des premières victoires remportées sur le sol de la France, toute l’Allemagne crut l’unité germanique faite, mais en même temps surgirent des divergences graves sur la formation de cette unité. Les progressistes voulaient l’unité par les peuples et la constitution préparée par les Parlemens avec un ministère responsable. Les nationaux-libéraux voulaient un Empire, sans s’inquiéter des origines et des moyens. Les vrais Prussiens voulaient l’Empire absolu, absorbant toute l’Allemagne au profit des Hohenzollern, de l’aristocratie et de l’armée. Les princes fédérés du Nord, la Saxe, Cobourg, Oldenbourg et Weimar, espérant une situation meilleure, consentaient à devenir les vassaux de l’Empereur allemand. Parmi les princes du Sud, le grand-duc de Bade et le grand-duc de Hesse se soumettaient franchement, eux et leurs sujets, à l’Empire. Le roi de Wurtemberg hésitait et louvoyait, tandis que le roi de Bavière se dérobait, tous deux sachant que leurs peuples étaient jaloux de leur indépendance. Les destinées du nouvel Empire étaient livrées à trois hommes : le roi de Prusse, le prince royal, le chancelier. Le Roi, passionnément Prussien, estimait que le titre de roi de Prusse l’emportait sur tous les autres et lui donnait une autorité plus accentuée. Il aurait voulu que l’unité germanique se fit au seul profit de la Prusse avec les formes autoritaires. Comme ses prédécesseurs, il tenait à montrer aux autres souverains la supériorité des institutions prussiennes. Le titre impérial lui paraissait inférieur