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Elle serait en mesure de transporter et de débarquer en très peu de temps une armée de 150 000 hommes, et elle trouverait en Angleterre même 70 ou 80 000 Allemands, qui tous ont fait leur service militaire et auxquels il suffirait de fournir des armes. Encore une fois, tout cela est-il vrai ? Il faudrait une compétence beaucoup plus haute que la nôtre pour l’affirmer ou pour le nier ; mais lord Roberts l’affirme et nul ne saurait contester la sienne. Aussi son discours a-t-il produit une vive émotion en Angleterre et quelque mauvaise humeur en Allemagne. Dans les deux pays, la conséquence logique d’un pareil langage devrait être de nouvelles dépenses militaires, et l’un et l’autre trouvent que le fardeau en est déjà bien pesant. Il n’en est pas moins certain que si la flotte britannique est assez forte pour faire face à toutes les éventualités, on ne saurait en dire autant de l’armée de terre, qui n’est plus en rapport avec les besoins de défense de l’Angleterre ou de ses colonies, non plus qu’avec la politique que poursuit son gouvernement. Celui-ci l’a compris d’ailleurs, puisqu’il a déposé divers projets de réforme militaire ; mais c’est une question de savoir si ces projets sont suffisans, et lord Roberts ne le croit pas. Ainsi donc, les problèmes les plus redoutables sont posés partout. Il n’y a pas une puissance en Europe qui veuille la guerre, ni aucune qui la prépare, mais toutes s’y préparent à qui mieux mieux, de crainte d’être surprises par l’événement. Lord Roberts a déclaré que ses sentimens personnels étaient absolument pacifiques, et que, s’il parlait de l’Allemagne, cela ne voulait pas dire qu’il eût de mauvaises intentions à son égard, ni qu’il crût que l’Allemagne en avait à l’égard de l’Angleterre : mais un soldat doit envisager toutes les hypothèses et réfléchir par avance à ce qu’il y aurait à faire si l’une d’elles se réalisait. Le gouvernement a répondu, par l’intermédiaire de lord Crewe. qu’il n’était nullement nécessaire de dire cela tout haut, et que cette publicité pouvait créer des inconvéniens au dehors. Nous ne croyons pas que ces inconvéniens soient très graves, et peut-être un pays a-t-il toujours le droit de savoir quel est exactement son état de défense et de rechercher les moyens de le consolider. Lord Roberts ne demande rien moins pour cela qu’une armée d’un million d’hommes.

On le voit, si la situation du monde ne s’est pas aggravée depuis quelque temps, elle ne s’est pas non plus très éclaircie. Le meilleur symptôme d’apaisement est l’arrangement final qui a été signé par M. Jules Cambon et M. de Kidderlen en vue de la constitution d’un arbitrage pour le règlement de l’incident de Casablanca. Nous avons