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utopies sociales, divisions des classes, rôle de l’Eglise, conduite de la noblesse, de la bourgeoisie et du peuple, développement, direction ou déviation de la philosophie, des lettres et des arts. C’est pourquoi, lorsque nous voulons comprendre notre situation présente, nos regards sont toujours ramenés vers la crise terrible et féconde par laquelle l’ancien régime a produit la Révolution, et la Révolution le régime nouveau. »

Le défaut de ce tableau, du reste puissamment synthétique, est que Taine y situe peut-être un peu trop, y localise peut-être un peu trop dans le temps la crise qu’il fait partir peut-être d’un peu trop près et qu’il arrête peut-être un peu trop court. Il manque là, non pas sans doute au tableau, qui pourrait porter pour titre : 1808, et où, par conséquent, elles ne sauraient se trouver sans anachronisme, mais, pour ceux qui observent du point où nous sommes, cent ans après, en 1908, le développement de cette crise, il manque pourtant deux choses, — et lesquelles ! L’État moderne tout entier : le Nombre et le Travail, le suffrage universel et la grande industrie concentrée ; de sorte qu’il est permis de demander si réellement chaque classe, et en particulier la classe ouvrière, « avait dès lors la situation, les intérêts, les sentimens que nous lui voyons aujourd’hui ; » quant aux « traditions, » en a-t-elle encore ? Auguste Comte, s’il n’a pas mieux que Taine (et la raison s’en devine) vu les suites du mouvement, en fait remonter les origines beaucoup plus haut. Il reconnaît trois longs siècles de crise, à partir du XVIe ; mainte page du Cours de philosophie positive atteste que l’on ne doit pas, selon lui, circonscrire trop étroitement le sens du mot crise, le restreindre trop rigoureusement à une difficulté ou une secousse accidentelle, et il le marque bien par cette expression : « la grande crise des sociétés modernes[1]. » Toutefois, le rôle de la Révolution française comme cause déterminante et motrice ne lui échappe pas : « Quoique ce ne soit point ici, dit-il[2], le lieu d’entreprendre cette importante démonstration, j’y crois devoir néanmoins indiquer une considération très propre à faire déjà pressentir une telle explication, en représentant le salutaire ébranlement général imprimé à notre intelligence par la Révolution française, comme ayant été finalement indispensable

  1. Cours de philosophie positive, t. IV ; Physique sociale, 46e leçon, p. 96, 128 et 130, 134.
  2. Ibid, 47e leçon, p. 182.