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du fond permanent des choses, des entrailles mêmes de la vie : le travail, désorganisé depuis un siècle, et depuis lors non réorganisé légalement, s’est en partie réorganisé dans le fait, suivant la pente de ses besoins, de ses instincts et de ses intérêts, au fil des événemens, en quelque sorte historiquement, c’est-à-dire chronologiquement, c’est-à-dire selon la succession des milieux et des momens. A cet égard, — nous avons eu raison de le constater, — la révolution politique et la révolution économique ont commencé par développer leurs conséquences l’une au rebours de l’autre, jusqu’à ce que la loi créât, après tout un siècle écoulé, une nouvelle forme d’association qui s’oppose bien, par sa structure, à l’ancienne corporation, mais qui, en son principe et par son objet, s’en rapproche. Patrons et ouvriers, dans leurs syndicats, sont à présent, les uns en face des autres, constitués à l’état de classe. C’est la grande industrie concentrée, c’est, — pour être tout à fait précis, — la machine à vapeur, qui, en concentrant la grande industrie, leur a fait prendre ces positions réciproques. Tant que les circonstances matérielles du travail, — la machine à vapeur, l’usine, — ne changeront pas, chaque groupe restera sur sa position, à lui ; et, même si quelqu’une de ces circonstances changeait, il est possible qu’ils s’y maintiennent encore ; car, pour ce qui concerne les ouvriers, le contact obligé dans l’usine, s’il a contribué plus que le reste à l’enraciner en eux, ne leur a cependant pas tout seul donné la notion de classe, ni tout seul formé « leur conscience, leur âme collective. » Peut-être donc, même s’ils cessaient d’être groupés autour de la machine à vapeur, réunis dans l’usine pour le travail, maintenant qu’ils ont acquis cette notion, cette conscience de classe, — fortifiée d’ailleurs et exaltée par le syndicat, — les ouvriers ne la perdraient-ils plus, au moins tant qu’ils conserveraient quelque raison ou quelque apparence de raison de se considérer comme une classe en opposition avec une classe adverse. Ainsi le travail pourrait être dans une certaine mesure déconcentré sans que le travailleur se réindividualisât ; autrement dit, sans que la conscience de ce qu’il y a de collectif, à l’intérieur du groupe, entre gens du même groupe, s’évanouît ; sans que la notion de classe fût détruite ; sans que chacun, traitant pour soi seul, ne songeât plus qu’à s’arranger avec « le chacun » d’en face ; sans que l’association se refît un et deux, et non plus seulement un et un ou deux et deux.