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parmi ses nouveaux amis, la conduite de Moreau était sévèrement jugée.

Ce qui est plus vrai, c’est que, dans l’entourage des souverains, on jalousait la faveur dont il était l’objet de leur part et surtout de la part d’Alexandre. Schwarzenberg ne lui pardonnait pas plus qu’à Jomini de contrôler ses plans d’opérations qu’il avait fait adopter et Jomini ne l’entendait qu’avec impatience discuter ses critiques. Quant aux Russes, les réflexions désobligeantes pour Moreau qui leur ont été attribuées, en admettant même qu’on n’en ait pas exagéré le caractère malveillant, prouvent simplement le dépit qu’ils éprouvaient en voyant leur maître accorder sa confiance à un étranger et paraître ainsi mettre en doute la valeur de leurs propres avis.

Cette confiance semble d’ailleurs avoir été sans limites. D’après l’émigré comte de Rochechouart, dans ses Mémoires, Alexandre l’aurait manifestée en nommant Moreau feld-maréchal. C’est là une invention forgée de toutes pièces et dont il n’existe aucune trace dans les documens contemporains. Moreau, disposé à devenir le major général du Tsar si celui-ci eût pris pour lui le commandement supérieur des armées de la coalition, ne voulait être et ne fut en effet qu’un donneur de conseils. C’est à ce titre qu’au cours des opérations, il blâme la mollesse apportée par Schwarzenberg dans sa marche et ses attaques, déclare « qu’il va tout perdre » et lui dit dans une minute d’emportement :

« Je ne m’étonne pas si, depuis dix-sept ans, vous avez été toujours battus. »

Le mot est dur et le généralissime ne le pardonnera pas.

Dans ce qui précède, se résument les seuls renseignemens à peu près authentiques que nous possédions sur le séjour que fit Moreau parmi les alliés, du 16 août, date de son arrivée à Prague, au 27 du même mois, date de sa mort. En dehors de ceux-là, on ne trouve que des incidens et des propos dont la base est si fragile qu’on ne saurait en faire état dans un récit dont l’auteur n’a rien négligé pour se rapprocher de la vérité.

A peine est-il besoin de rappeler après Thiers, celui de nos historiens qui a donné le plus de détails sur la campagne de 1813 et sur la bataille de Dresde où Moreau perdit la vie, que celui-ci et Jomini avaient fait modifier en plusieurs points le plan concerté à Trachenberg entre les alliés, au mois de juillet, en