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de ses cris de joie et de ses vivats. Au sortir de cette capitale, il rencontra des déserteurs français. Il se laissa conter par eux que Napoléon, à Magdebourg, avait défendu « sous peine de mort » de répandre dans l’armée que Bernadotte faisait cause commune avec les alliés et que le général Moreau était arrivé en Allemagne[1]. A Olaw, le diplomate russe Pozzo di Borgo, qu’il y trouva, lui communiqua une nouvelle bien autrement importante : l’Autriche venait de rompre les traités qui l’unissaient à Napoléon et de se joindre à la coalition. A Kœnigratz, en présence du prince royal de Prusse, il passa la revue des troupes de l’empereur Alexandre.

« On peut tout entreprendre avec de tels hommes ! » s’écria-t-il.

Enfin, le 16 août, il arrivait à Prague, c’est-à-dire au cœur même du foyer où s’agitaient les pires ennemis de la France.

Son arrivée coïncidait avec la fin du Congrès diplomatique qui s’était réuni dans cette ville, à la date du 30 juillet, afin d’examiner les conditions auxquelles pourrait s’exercer la médiation offerte par l’Autriche pour terminer la guerre qui avait mis aux prises la France d’un côté, la Russie et la Prusse de l’autre. Les plénipotentiaires s’étaient séparés le 11 août, sans avoir pu s’entendre. L’armistice, précédemment conclu entre les belligérans,

  1. Le 4 septembre, huit jours après la mort de Moreau, le Journal de l’Empire annonça son arrivée en Allemagne : « Il vient détromper lui-même, il vient démentir à la face du monde ceux qui voulaient l’estimer encore ; il justifie, il renforce l’accusation qui précède son exil, enfin il se voue au mépris de la patrie qu’il trahit, de l’étranger qui l’achète et de la postérité qui l’attend. »
    Il y a bien de l’exagération dans ces formules de rhétorique. Moreau n’avait pas été acheté et son désintéressement est hors de doute. Quant à la postérité, quoique justement sévère pour lui, elle lui a tenu plus de compte, que ne le prévoyait le rédacteur de cette note, de son infortune imméritée et de l’exaspération légitime en laquelle l’avait jeté l’inique condamnation de 1804.
    La nouvelle de sa mort ne fut publiée à Paris que le 13 septembre. Mais déjà le ministre de la Police avait interdit aux hommes d’affaires de Moreau de se dessaisir des sommes qu’ils avaient à lui. Elles s’élevaient à environ 500 000 francs qui furent mis sous séquestre. L’année suivante, le gouvernement provisoire les restitua à Mme Moreau.
    Quant à la proclamation signée : « Général Moreau, adjudant général de S. M. l’Empereur de Russie, » qui circula alors, elle était apocryphe. Elle avait été fabriquée dans les bureaux de la police, et c’est elle qui la répandait après l’avoir fait imprimer à Morlaix, pays natal de Moreau, pour la rendre plus vraisemblable. Lui-même, en arrivant au quartier général russe, en avait rédigé une, si, toutefois, on peut donner ce nom aux quelques lignes qui suivent :
    « Je ne viens pas, comme un autre Coriolan, venger une injure personnelle ; je viens délivrer ma patrie du joug qui l’opprime. Dès que j’aurai atteint ce but, je me hâterai de rentrer dans les phalanges françaises. »