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une fois que je vous aime ; je veux voir si vous pouvez m’aimer encore comme autrefois.


Mary Clarke à Claude Fauriel


Naples, le 11 juillet 1824.

... J’ai lu à Rome les Mémoires d’Alfieri et je suis toute en colère contre vous de ce que vous ne l’aimez pas à la folie ! Comment, un homme habituel au luxe et au faste, qui renonce à tout cela pour ne pas vivre dans un pays despotique, un homme élevé dans la paresse et l’ignorance, qui, à près de trente ans, se met à étudier et devient un grand écrivain, qui, ne sachant aucune grammaire, ayant une mauvaise mémoire, se met à étudier le grec, à près de cinquante, et l’apprend ! C’est un héros ! Ce sont des preuves d’énergie les plus rares que je connaisse, et de l’énergie employée à des choses louables. On a l’impertinence de louer un soldat qui saute un pas difficile ou quelque autre chose qui ne demande qu’un seul effort, et on n’élève pas des statues à un homme qui en fait journellement d’aussi grands et ne se laisse pas abattre par la fatigue et des efforts d’esprit encore. Apprendre à s’appliquer demande bien une autre volonté que de faire même une grande action ; mais il a fait tous les deux, et quand même il aurait quelques défauts de caractère, quelques fantaisies bizarres et des préjugés, qu’est-ce que de petites taches comme cela ? Ah ! Dicky, je ne suis pas contente de vous. J’ai rencontré dans une auberge un Piémontais, son cousin, et que je désire beaucoup retrouver à Rome à cause de cette parenté...


Claude Fauriel à Mary Clarke.


Bruzoglio, 1824.

... Je ne puis avoir aucun regret à ne point vous avoir parlé de ces Mémoires d’Alfieri[1], par la lecture desquels vous avez,

  1. Il serait piquant de rapprocher de ces deux jugemens extrêmes quelques-uns de ceux qu’on a portés sur Alfieri et sur l’histoire de sa vie. Un des plus récens historiens français de la littérature italienne, M. H. Hauvette, d’accord avec Mary Clarke, a vu dans ces Mémoires, en même temps qu’une des plus intéressantes autobiographies qui soient, un livre entre tous « capable de façonner le caractère de la jeunesse, en mettant fortement en relief tout ce que l’on peut obtenir à force de travail et d’énergie. » (Littérature italienne, in-8o, Paris, Colin, 1906, p. 384.)