m’aimiez pas assez pour renoncer à votre liberté ! (Et même cette idée a de la peine à partir.) Et puis, dans une incertitude perpétuelle si j’irais en Angleterre ou en Italie, Mon cher ange, croyez-moi, vous vous exagérez les difficultés de la vie, et surtout vous êtes injuste envers nous deux de croire que nous avons besoin l’un ou l’autre de plus d’argent, de plus de réputation. Mon Dieu, ces breloques des hommes sont si peu de chose quand on est heureux comme nous le sommes ! Car nous avons le nécessaire. Il y a presque de l’indélicatesse à vous de penser si mal de moi que d’en vouloir plus pour moi, car c’est croire que je vous aime si peu. Et après toutes les preuves que je vous en ai données, je serais un monstre si je ne vous aimais pas, quand ce ne serait que de pouvoir écrire une lettre comme celle-là ! D’ailleurs, la nécessité où la résolution de maman nous a forcés quasi de nous décider avant l’hiver prochain ou de nous séparer, est peut-être ce qui pouvait arriver de plus avantageux pour l’acquisition même de cette breloque de réputation ; car ni vous, ni moi n’eussions jamais pu parler de notre destinée, si nous n’y étions forcés, et je suis convaincue que rien n’est plus contraire à la santé de votre esprit, conséquemment à cette acquisition, que la vie incertaine et tracassée que vous menez. Adieu, mon cher ange.
MARY.
Quel temps délicieux et comment se tourmenter quand le ciel est si beau et les oiseaux si contens ? Quelle folie de nous séparer quand notre grand regret est de ne pas nous être rencontrés plus tôt ; relisez ma lettre au moins deux ou trois fois[1].
Il m’est impossible de rester toute la journée dans l’incertitude si je vous verrai ou non. Venez ce soir, venez tous les
soirs, ou au moins, si vous deviez en passer un sans venir,
venez le matin me le dire. D’ici à deux ou trois jours, j’espère
- ↑ Cette lettre resta sans réponse. Sans doute, les objets en furent traités en conversation entre Fauriel et Mary Clarke. Leur croissante intimité donnait alors quelque inquiétude à Mme Clarke, qui aspirait la voir aboutir à un mariage : en écrivant à l’une de leurs amies de Londres, elle se plaint de la fréquence des visites de Fauriel, elle croit qu’il s’est déclaré, et ajoute que, sans doute, si la nouvelle est vraie, Mary l’annoncera elle-même. (Communication de M. O. von Mohl.)