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violemment passé par la tête, s’est dissipé complètement, et quelque chose de doux est entré dans mon cœur.

N’allez pas, je vous en supplie, ni me gronder, ni vous étonner de ce que je ne vous avais pas parlé d’une personne qui était tant pour moi. D’abord, je ne sais pourquoi, je m’étais mis dans la tête, que vous saviez cela du moins vaguement, et autant que vous pouviez, sinon désirer le savoir, du moins avoir besoin de le savoir.

Mais la vérité est que c’est pour avoir eu, à cet égard, trop de prétentions et de trop doux projets que j’ai non pas négligé, mais différé de vous parler d’une amie qui était trop [pour] moi, pour n’être rien pour vous. Je lui avais inspiré un vif désir de vous connaître, j’étais sûr qu’elle vous aimerait ; et il y a longtemps que vous auriez su tout cela si vous étiez restée à Paris. Mais tous mes projets là-dessus n’ayant guère été formés que vers l’époque de votre départ, j’ai cru follement qu’il fallait attendre votre retour pour vous les dire, et tâcher de vous les faire aimer. Je suis puni d’avoir oublié un instant que la destinée ne respecte pas toujours les arrangemens heureux que l’on fait pour l’avenir, et qu’il faut prendre le bonheur en détail, goutte à goutte, comme on prend les rayons du soleil, en hiver, dans les pays où le ciel est souvent voilé de nuages. Je n’ai ni le courage, ni la possibilité de vous écrire plus longuement là-dessus : ces choses-là ne sont pas de celles qui s’écrivent : car la parole la plus intime, aidée de tout ce qui vient de l’âme, et sert à en exprimer les émotions et les sentimens, suffit à peine à les dire...

……………………….

O chère amie, pardonnez-moi de vous écrire en ce moment, où je ne puis vous écrire que pour verser dans votre sein les larmes les plus amères et les plus justes que j’aie répandues de ma vie. De tout ce que contient votre dernière lettre, je ne veux et ne puis en ce moment vous parler que d’une seule chose, dans laquelle vos paroles se rencontrent bien tristement avec ma destinée. Vous me parlez du prix d’une amie pour un homme, et de l’insuffisance de l’amitié entre hommes ; eh bien ! j’en avais une amie, celle dont je vous parlais, que je tremblais de perdre ; et quand vous lirez cela, je ne l’aurai plus, et vous dire ce que j’aurai perdu, je n’en ai ni l’intention, ni la puissance. Vous dire ce que je souffre depuis trois jours, je ne le puis pas davantage : je ne puis essayer de le faire comprendre complètement