Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/550

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriété serait violée, disait un des plus fougueux « hakatistes, » si l’État n’indemnisait pas complètement l’exproprié. Les Polonais savent bien qu’il n’est pas question de les détrousser, mais le malheur est que leur attachement au sol s’exprime par la parole même de Bismarck : « Qui peut me dédommager avec de l’argent si le parc de mon enfance est transformé en chemin et le tombeau de mes ancêtres en mare à anguilles ? » Cette plainte n’est pas moins émouvante sortant du cœur d’un paysan d’Obornick ou de Mogilno que de celui du propriétaire de Varzin et de Schönhausen. On n’expropriera, dit-on, que les grands propriétaires vivant à l’étranger, non point parce qu’ils sont absentéistes ou possesseurs de vastes étendues, mais parce qu’ils sont issus d’une certaine race et se réclament d’une certaine nationalité. C’est contre quoi précisément s’insurgent les Polonais.

Que veulent les Polonais ? Nous n’avons pas à rappeler ici les griefs nombreux que les deux nationalités en présence font valoir l’une contre l’autre, ni à juger des causes d’ordre politique, ou social, qui les ont provoqués et les accumulent. Il suffira de dire, pour le moment, que la population allemande et la population polonaise vivent dans les provinces de l’Est séparées par un fossé marqué sur la carte psychologique par ce trait menu : Une dame polonaise de Posen nous donnait, un jour, comme important le fait d’avoir été assise la veille, à un enterrement, auprès d’un fonctionnaire prussien. Surprise de ne pas nous voir manifester de l’étonnement, elle ajouta simplement, sans joie ni amertume : « Il y a vingt ans que cela ne m’était pas arrivé. » Parmi les Polonais, les uns souffrent de cet état de choses et voudraient le voir cesser. Ce sont les modérés, les conciliateurs qui désirent la paix, à certaines conditions. Les autres, les « radicaux, » ne considèrent pas la guerre comme le plus grand des maux. Intransigeans dans leur manière d’être « polonais, » ils parlent, écrivent, affichent des opinions ou affectent des allures qui exaspèrent une bureaucratie justement fière des services qu’elle a rendus et enlizée, comme toutes les institutions qui ont vieilli sans souffrir contradiction, dans des prétentions à l’infaillibilité. Ils protestent contre la méthode prussienne de germanisation, mais, au fond, ils reconnaissent qu’elle a formé des hommes et trempé le peuple pour résister à cette sorte d’invasion qui engraisse les corps et ruine les âmes. Ils comptent parmi les grands agitateurs polonais