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« techniques. » La question fut réduite à ce dilemme : sans expropriation, plus de colonisation ; sans colonisation, plus de Marches de l’Est.

Les partisans de la loi argumentèrent ainsi : l’organisation polonaise embrasse toutes les classes, tous les partis, toutes les opinions ; elle a une vie propre qui se manifeste par le boycottage des Allemands, la grève scolaire, les associations et un formidable travail préparatoire de restauration du royaume de Pologne. La Haute-Silésie ne s’est-elle pas déclarée polonaise ? Au cours du siècle dernier, cent mille Allemands catholiques ne sont-ils pas passés dans le camp polonais ? Au congrès de Lemberg, en 1896, ne prit-on pas la résolution suivante : Tout individu de souche étrangère qui tire son pain du sol qui fut autrefois polonais, doit devenir polonais[1] ? « Notre marche de l’Est doit-elle être allemande ou polonaise, dit le prince de Bülow, le 30 janvier 1908[2], à la Chambre des seigneurs ? Nous ne pouvons plus nous faire illusion ; l’agitation polonaise s’efforce, consciente de son but, de former un État dans un État. Je ne veux pas vous dépeindre encore une fois la scission toujours plus nette, toujours plus âpre des Polonais d’avec les Allemands. Je demande seulement : Pouvons-nous nous passer de deux provinces dont l’une commence à dix-huit lieues de Berlin ? » On croit toujours qu’il s’agit là de différends, de querelles, d’antagonismes attisés par la maladresse et qu’un gouvernement intelligent et sage pourrait apaiser. Il se heurte à l’instinct vivace de tout un peuple qui veut maintenir son indépendance ; le sentiment national des Polonais est digne d’estime, mais il est en contradiction avec le sentiment national allemand[3]. On ne se propose pas d’exterminer les Polonais, — pour les déraciner complètement, il faudrait deux milliards et demi[4], — on veut seulement les contraindre à demander la paix : dans tout leur passé, ils ont plié devant une volonté ferme et décidée.

Ce n’est pas à la légère que le gouvernement s’est résigne à les exproprier ; cette mesure pénible n’a été prise qu’après que tous les autres moyens examinés ont été reconnus inefficaces[5].

  1. Chambre des seigneurs, Bericht der IX Kommission, p. 45.
  2. Id., Stenog. Berichte. p. 23.
  3. Id., ibid., p. 33 (ministre de l’Agriculture).
  4. Chambre des députés, Stenog. Ber., 26 nov. 1907, p. 18 (prince de Bülow).
  5. Id., ibid., 16 janvier 1908, p. 648 (prince de Bülow).