Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empressé de donner au « souverain de l’Angleterre, » comme il dit, connaissance de la démarche russe, en modifiant un peu la réponse qu’il y avait faite. C’était son droit, peut-être. Cependant cette manière de procéder n’est pas de nature à augmenter la confiance des autres gouvernemens lorsqu’ils ont à faire des communications confidentielles au gouvernement impérial. Tel a été l’incident auquel l’empereur Guillaume a fait allusion. Il espérait sans doute, en le racontant à sa façon, amener un refroidissement entre l’Angleterre, la France et la Russie. Mais les Anglais savent faire la distinction des temps. Leurs journaux ont dit que l’entente cordiale n’existant pas pendant la guerre sud-africaine, la France et la Russie avaient été libres de suivre la politique qu’elles avaient voulue. Ces anecdotes rétrospectives leur ont paru aujourd’hui sans intérêt.

L’interview de Guillaume II a produit en Allemagne une émotion extrême, que la presse a exprimée avec une liberté et même avec une véhémence auxquelles elle ne nous avait pas habitués, surtout quand la personne de l’Empereur est en cause. Le gouvernement a cru qu’il devait donner des explications ; il l’a fait, et ces explications, loin de rassurer les esprits et de les calmer, ont fait naître des inquiétudes encore plus vives. On reprochait surtout à l’Empereur de n’avoir pas observé les règles constitutionnelles, de n’avoir pas pris l’avis de ses conseillers officiels, de ne s’être pas couvert de leur responsabilité, avant de livrer à la publicité des paroles aussi compromettantes. Quel n’a pas été l’étonnement général lorsqu’on a appris qu’il n’en était rien et que l’interview impériale, avant d’être communiquée à la presse anglaise, avait été envoyée au chancelier et soumise à son jugement. Eh quoi ! un homme d’un esprit aussi fin, aussi avisé, aussi exercé que M. de Bülow avait-il pu lire un pareil morceau sans en apercevoir les inconvéniens ? Était-ce croyable ? Non, évidemment. Aussi faisait-on savoir au bon peuple allemand que M. de Bülow n’avait pas lu l’interview et l’avait renvoyée à l’examen du ministère des Affaires étrangères. Nous répéterons : Était-ce croyable ? M. de Bülow ne sait-il pas que l’Empereur se laisse quelquefois entraîner par sa parole, et qu’il a besoin d’avoir auprès de lui un Aristarque respectueux, mais ferme ? Étrange négligence ! La seule excuse qu’on en ait donnée est que le manuscrit était mal écrit et difficile à déchiffrer. Le voilà donc au ministère des Affaires étrangères ; mais le ministre, M. de Schœn, était en congé. Le papier est tombé entre les mains de qui ? On ne le dit pas : sans doute d’un subalterne qui a été saisi de respect devant la prose impériale et qui, en somme, était