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ce passage du discours, la parole impériale n’atteint pas le but qu’elle se propose : elle est plus propre à entretenir les inquiétudes britanniques qu’à les dissiper. — Lorsque je tends une main au peuple anglais, a dit l’Empereur avec amertume, on insinue que mon autre main tient un poignard. — Cette insinuation est injuste en ce qui concerne l’Empereur lui-même. La main qu’il tend est loyale ; mais il y en a d’autres autour de lui, et ce sont les plus nombreuses, qui, de son propre aveu, ne se conforment pas à son geste et sont prêtes à en faire de très différens.

Venons-en aux actes qui, plus encore que les discours, témoignent de la sympathie de Guillaume II pour l’Angleterre. Nous sommes un peu plus embarrassés pour nous expliquer sur cette partie de l’interview, parce que la Russie et la France y sont intimement mêlées, et que l’intention de l’Empereur n’est plus seulement de se rapprocher de l’Angleterre, mais encore, et surtout, de l’éloigner de nous. Les souvenirs qu’il rappelle sont anciens, ils se rapportent à la guerre des Boers. Ici encore l’Empereur reconnaît que « l’opinion individuelle » en Allemagne était « hostile » à l’Angleterre ; mais il affirme que « l’opinion officielle » ne l’était pas. On est un peu étonné tout d’abord de ce qu’il y a d’absolu dans cette affirmation. Si l’Empereur a une grande puissance de mémoire, il a de même, lorsqu’il le veut, une grande puissance d’oubli. C’est ainsi qu’il n’a gardé aucun souvenir du bruyant télégramme qu’au début des complications sud-africaines il a personnellement adressé à M. Krüger. Sans doute, lorsque la guerre a été terminée et que l’infortuné président est venu en Europe pour essayer d’émouvoir sa pitié, l’Empereur lui a interdit le territoire allemand ; mais cette cruauté, inutile alors, n’a peut-être pas complètement effacé aux yeux de l’Angleterre le télégramme qui, quelques mois auparavant, avait résonné sur le monde avec l’éclat du clairon. L’Empereur en a sans doute le vague sentiment : aussi donne-t-il d’autres preuves encore de sa sympathie pour l’Angleterre. Quelles sont-elles ? La reine Victoria, sa grand’mère, lui ayant écrit, au mois de décembre 1899, une lettre où apparaissait toute l’anxiété de son âme devant « les désastres qui suivaient les désastres en succession rapide, » l’Empereur s’émut, et il fit dresser par son état-major un plan de campagne destiné à apporter à l’état-major britannique les lumières dont il avait besoin pour se tirer d’affaire. « Je le dépêchai en Angleterre, dit-il, et ce document figure dans les papiers d’État de Windsor, attendant le verdict impartial de l’histoire.