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le premier est que l’Allemagne se serait refusée résolument à nos prétentions, et le second est que si, dans la distraction ou la défaillance d’un moment, elle nous avait fait une concession qu’elle aurait regrettée par la suite, il en serait résulté des conséquences dangereuses pour les rapports ultérieurs des deux pays. Les victoires de ce genre sont mauvaises et perfides. Pour être tout à fait franc, nous avouerons que, dans le passé, l’Allemagne a remporté sur nous quelques-uns de ces avantages qui laissent de l’amertume dans les esprits et dans les cœurs : c’est même depuis lors qu’il y a de l’inquiétude en Europe. Si nos concessions ont eu alors pour but d’empêcher ces inquiétudes de naître, le but a été évidemment manqué. Aussi avons-nous fait nos réflexions et nous sommes-nous ressaisis. Les mêmes choses, ou des choses analogues, ne produisent plus tout à fait sur nous les mêmes effets. On s’habitue à tout. La répétition de certains procédés en diminue à la longue la force adive, celle qui vient de l’imprévu, avec l’étonnement et le trouble qu’il cause. Les mêmes perspectives, quelque sérieuses qu’elles puissent être, cessent de faire la même impression lorsqu’on les voit tous les jours. On se familiarise avec les dangers qui se présentent comme inévitables et, au bout de quelque temps, on ne se préoccupe plus que d’y faire face lorsqu’ils viendront à se réaliser. Cet état d’esprit est nouveau chez nous. Nous ne rechercherons pas d’où il nous est venu : peut-être serions-nous amenés à éprouver quelque gratitude envers ceux à qui nous en devons le bienfait. Les pacifistes à outrance, qui haussaient les épaules quand nous leur parlions de certaines éventualités dont ils ne voulaient plus se préoccuper, ont changé de langage, ou du moins se sont tus pendant la crise actuelle. Nous avons eu, pour la première fois depuis assez longtemps, le spectacle réconfortant d’une nation dont tous les enfans se sont trouvés unis dans un même sentiment : et ce sentiment n’a pas été qu’il fallût céder quand même à une prétention inadmissible. Insister davantage serait un défaut de mesure et de tact.


Que dire de la bruyante interview de l’empereur d’Allemagne, que le Daily Telegraph a publiée à Londres le 27 octobre dernier ? Nous arrivons un peu tard pour en parler, après que les journaux du monde entier en ont été remplis pendant quinze jours : les journaux du monde entier, sans une seule exception, ont d’ailleurs blâmé les paroles de l’empereur Guillaume. Les plus sévères de tous ont été les journaux allemands. Leur sévérité a été telle qu’elle nous a paru quelquefois