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par une perversité foncière. C’est l’instinct qui chez ce garçon est mauvais : il est affligé de bassesse d’âme congénitale. Tant que le milieu parisien ne fera pas d’autres victimes, il n’y aura pas trop à se plaindre.

Je crains, d’autre part, qu’on n’ait voulu nous donner la « patronne » pour un personnage éminemment sympathique et d’une qualité d’âme distinguée. « Tenez, madame, il n’y a ici que vous de respectable, » lui déclare au dernier acte Fargis. Simple propos d’ivrogne ou morale de la pièce ? Voyons donc comment se comporte cette respectable dame. Elle commence par favoriser la liaison de Robert et de Mme Destrier : son salon est un lieu de rendez-vous. Chargée de négocier la rupture, devant les larmes sincères du jeune homme elle s’attendrit. L’émotion qui s’éveille en elle, est-ce de l’amour ? Entre tant de sentimens qui voisinent dans le cœur d’une femme, l’exacte démarcation n’est pas toujours facile à établir. Aussi, nous réjouissons-nous d’entendre comme cette patronne se révolte à l’idée qu’elle aurait pour son protégé un attachement trop tendre. Enfin celle-là est honnête ! Nous emplissons nos yeux de ce rare spectacle. Hélas ! à l’instant même, M. Le Hazay fait son entrée. M. Le Hazay est l’amant de Mme Sandral. C’est une liaison établie, régulière. Mme Sandral est une femme mariée avec amant et garçonnière. Elle n’est pas la seule, et plus d’une femme serait embarrassée pour lui jeter la première pierre ; c’est entendu. Toutefois cette situation délicate interdit les trop grands gestes et les protestations trop indignées. Mme Sandral témoigne une froideur de plus en plus marquée au fidèle Le Hazay. Cela nous inquiète. Que se passe-t-il chez cette quadragénaire en émoi ? Quand, au dénouement, son mari l’accuse de protéger Robert parce qu’il est son amant, elle bondit sous l’outrage. « Lui, mon amant, riposte-t-elle ou à peu près, ce n’est pas vrai. C’est Le Hazay qui est mon amant. » Comme cri de l’innocence méconnue, nous en eussions préféré un autre. Mme Sandral n’a qu’une demi-vertu. On aurait dû lui octroyer la part entière.

Très judicieusement, en changeant de genre, M. Donnay a changé de style. On ne retrouverait pas, sauf au premier acte, les feux d’artifice auxquels il nous a habitués. Le dialogue est, à dessein, tenu dans les teintes grises. Peut-être un peu plus de vigueur et de relief n’aurait-il pas nui. Notons aussi que, même allégée d’un acte, la pièce n’est pas sans présenter quelques longueurs.

Le rôle de Mme Sandral est excellemment interprété par Mme Jeanne Granier, si habile à passer de l’ironie légère à la mélancolie et à