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de croire à l’innocence de leur client que leurs adversaires n’en avaient de croire à sa culpabilité. Impitoyable pour le ministre de la Guerre et pour les chefs de l’état-major, M. France accommode de la belle façon les plus chauds défenseurs de Pyrot : tel cet astronome enthousiaste et naïf, Bidault-Coquille, qui discourt dans une réunion publique. « Quand il descendit de l’estrade, une grande femme sans âge, tout en rouge, portant à son immense chapeau des plumes héroïques, se jeta sur lui, à la fois ardente et solennelle, l’embrassa et lui dit : « Vous êtes beau. » Il pensa dans sa simplicité qu’il devait y avoir à cela quelque chose de vrai. Il la trouva sublime et la crut belle. C’était Maniflore, une vieille cocotte pauvre, oubliée, hors d’usage, et devenue tout à coup grande citoyenne. » Peu à peu, l’affaire s’achemine vers le succès définitif. « Victorieux, les défenseurs de l’innocent se déchirèrent entre eux et s’accablèrent réciproquement d’outrages et de calomnies. » Et l’astronome Bidault-Coquille, revenu de son premier enthousiasme, désenchanté de Maniflore et de lui-même, retourne à ses astéroïdes… L’état d’esprit de M. France semble être à peu près celui de cet astronome. Il a recouvré l’impartialité qui consiste à mettre amis et ennemis dans le même sac. Il juge de haut les choses, en philosophe dont le regard embrasse le passé et l’avenir de l’humanité. Au surplus, qu’est-ce que tout cela fait à Sirius ? On ne peut que féliciter M. France de ce retour à la sérénité. En ces derniers temps, une opinion s’accréditait qui tendait à nous le faire prendre pour un farouche sectaire et un terrible annonciateur du nouvel évangile. Son livre nous rassure. Il a retrouvé le sourire.

L’Ile des Pingouins étant, en quelque sorte, le « Discours sur l’histoire universelle » de M. France, il convient de rechercher quelles sont les idées de l’historien sur la marche des sociétés. On voit tout de suite qu’il a un grand ennemi, et que c’est le christianisme. Notre religion est pour lui synonyme d’ignorance, de sottise et de fanatisme. Le bon saint Maël, qui se laisse duper par le diable et qui prend les pingouins pour des hommes, est un parfait imbécile. Nous assistons à une délibération dans le Paradis, à laquelle prennent part tous les plus fameux docteurs, les saint Augustin et les Tertullien, et d’où il appert que dans les affaires du salut la forme et non le fond importe seule. Dieu le père s’y exprime avec cette bonhomie un peu épaisse que lui prêtait volontiers l’ironie de Renan. Une personne d’habitudes joyeuses, qui avait fait le bonheur de tous les bouviers à plusieurs lieues à la ronde, devient, après sa mort, sainte