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REVUE LITTÉRAIRE

M. ANATOLE FRANCE CHEZ LES PINGOUINS


A peine a-t-il achevé de publier la Vie de Jeanne d’Arc, voici que M. Anatole France nous donne l’Ile des Pingouins[1]. C’est encore un livre d’histoire, mais de caractère assez différent. Au lieu de raconter les événemens eux-mêmes, l’auteur nous les présente sous un léger voile d’allégorie ; au lieu d’évoquer les acteurs du passé dans leur vivante ressemblance, il leur substitue des personnages imaginaires qui sont leurs proches parens. La méthode a paraît-il, été déjà employée, et justement chez les Pingouins. L’un des leurs, Jacquot le philosophe, avait composé « une sorte de récit moral dans lequel il représentait d’une façon comique et forte les actions diverses des hommes ; il y mêla plusieurs traits de l’histoire de son propre pays. Quelques personnes lui demandèrent pourquoi il avait écrit cette histoire contrefaite et quel avantage, selon lui, en recueillerait sa patrie. — Un très grand, répondit le philosophe. Lorsqu’ils verront leurs actions ainsi travesties et dépouillées de tout ce qui les flattait, les Pingouins en jugeront mieux, et peut-être en deviendront-ils plus sages. » L’histoire à la manière de Jacquot le philosophe et de M. Anatole France est donc une variété du conte philosophique. Le genre a depuis longtemps conquis ses titres de noblesse littéraire. Il a été illustré par d’authentiques chefs-d’œuvre : on lui doit Gargantua et aussi les Voyages de Gulliver ; et pour la postérité Voltaire est moins l’auteur du Siècle de Louis XIV que celui de Candide. Il ne

  1. L’Ile des Pingouins, par M. Anatole France, 1 vol. in-18. Calmann-Lévy.