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assurant tous les monopoles, en concentrant entre ses mains toutes les richesses de la société, en réglementant la production sous la surveillance d’une armée de fonctionnaires. Le syndicalisme, tout à l’antipode, bien loin d’« étatiser » la société, prétend dissoudre la centralisation bureaucratique, et fédéraliser, syndicaliser les services publics, les industries privées, établir une nouvelle féodalité où l’école appartiendrait aux syndicats d’instituteurs, la poste aux postiers, les chemins de fer aux ouvriers de chemins de fer, les théâtres aux acteurs, etc., etc. Que deviendraient dès lors l’intérêt, le contrôle, la sauvegarde de la nation sur ses serviteurs, groupés en associations privilégiées de seigneurs et maîtres ? M. Lagardelle néglige de nous en instruire. Puisqu’il s’agit de détruire l’Etat, au lieu d’accroître et d’étendre ses attributions jusqu’à englober toute l’activité sociale, les syndicalistes se placent hors de sa légalité : à la conquête des pouvoirs publics par le bulletin de vote ils opposent l’anéantissement des pouvoirs publics par la grève générale. L’émancipation du prolétariat deviendra ainsi l’œuvre des prolétaires eux-mêmes. Le parti socialiste a joué un rôle historique : qu’il borne son action dans le présent à assurer au prolétariat le plus de libertés possible ; il sera superflu dans l’avenir. — M. Lagardelle étonna fort nombre de socialistes au Congrès : ils n’avaient jamais entendu parler de toutes ces choses.

Enfin M. Jaurès vint concilier toutes les théories et toutes les tactiques. Il tint le Congrès en haleine pendant près de cinq heures d’horloge. Son discours, au dire de ses admirateurs, compte parmi ses plus remarquables « performances. » Il parlait à Toulouse sous son ciel natal et sur son terroir. L’espace et la patience nous manquent pour résumer cette encyclopédie, cette Somme du socialisme pénétrée d’éclectisme à la manière surannée de Cousin, unissant les contraires, thèse, antithèse et synthèse, selon la méthode de Hegel. La résolution présentée au Congrès par M. Jaurès s’inspire à la fois du syndicalisme et du socialisme, de tous les socialismes. Le parti vise à exproprier la société capitaliste, à lui substituer le collectivisme et le communisme, à développer et à accroître les forces productives ; il est réformiste et révolutionnaire à la fois ; en tant que parti de réforme, il reconnaît la légalité bourgeoise, en tant que révolutionnaire, il la nie. Il emploie pour atteindre son but, les tactiques les plus opposées : tous les moyens lui sont bons,