Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la police entretenait dans cette capitale racontaient en outre qu’il était revenu à l’instigation de Bernadotte, prince royal de Suède. Il s’était fait précéder par son ancien aide de camp Rapatel. Celui-ci avait été vu au théâtre, à Londres, dans la loge d’une illustre cantatrice, la Catalani : elle l’avait présenté à lord Castlereagh.

Exactes, en ce qui concernait Rapatel, ces informations étaient sans fondement, en ce qui touchait Moreau. On en trouvait bientôt la preuve dans d’autres lettres ouvertes au Cabinet noir. Il y était dit que le proscrit ne songeait pas à quitter son asile et que, résolu à rester aux États-Unis, il allait y faire de nouveaux achats de terres. Telle était la vérité. Moreau ignorait encore les indignes traitemens dont sa femme venait d’être l’objet à Bordeaux ; il la croyait en France, autorisée à y résider. Désireux de ne pas l’exposer à subir les contre-coups de sa propre conduite, ce qui serait infailliblement arrivé s’il se fut livré à quelque démarche propre à inquiéter Napoléon, il observait, dans ses mouvemens comme dans ses propos, une réserve rigoureuse, voulant éviter, par-dessus tout, d’attirer l’attention sur lui.

On peut cependant se demander s’il était sincère, en déclarant à tout venant qu’il était bien décidé à ne pas quitter l’Amérique et en s’efforçant d’en convaincre tout le monde autour de lui. Il est plus aisé de poser la question que de la résoudre et mieux vaut, nous semble-t-il, rappeler, en les précisant, les circonstances à la suite desquelles ses dispositions apparentes allaient se modifier tout à coup.

En 1811, la Russie avait pour représentant à Washington ce comte de Pahlen qu’on a vu, en 1807, s’acquitter auprès du proscrit d’un message important et échouer dans sa tentative. Il y était revenu comme chef de la Légation et se préparait à en repartir pour aller au Brésil, en la même qualité. Il n’occupait plus le poste qu’en attendant son successeur. Le 20 août, il écrivait au chancelier Romanzoff « qu’un M. Rapatel, anciennement colonel au service de la France et aide de camp du général Moreau, » s’était adressé à lui pour savoir s’il lui serait possible d’entrer au service de la Russie. « Un an après l’exil du général, ajoutait-il, il est venu le rejoindre aux Etats-Unis. Mais l’ancienne habitude des armes lui fait toujours préférer l’état militaire à celui de négociant ou de fermier. » Il résumait ainsi en