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qui suivront la crise actuelle de l’Europe, du moment où mon pays se trouve soumis à une oppression, que je ne veux ni servir, ni partager, je supplie Sa Majesté Impériale de croire que si mes services Lui étaient encore agréables, Elle peut compter sur mon entier dévouement. Mais Elle appréciera sûrement les motifs qui m’engagent à ne les Lui offrir que dans un moment où on ne pourrait attaquer ni ma délicatesse, ni la dignité de Sa couronne. »

La correction de ce langage, l’état d’âme qu’il révèle, les scrupules qu’il exprime et, enfin, la résolution qu’il affirme ne sauraient être trop loués. Plût à Dieu que les dispositions de Moreau fussent restées les mêmes et qu’il eût toujours conformé sa conduite à ces principes ! sa gloire serait restée pure et aucune ombre n’en eût altéré l’éclat. Mais l’influence de l’exil est pernicieuse et il était destiné à la subir, comme l’avaient subie Pichegru et avant lui les émigrés.


III

Installé aux Etats-Unis, Moreau vit retiré et s’applique à ne pas faire parler de lui. Dans les rapports que le général Turreau, ministre de France à Washington, adresse à son gouvernement, il est rarement question de l’illustre proscrit, encore qu’il n’échappe pas toujours à la curiosité dont il est l’objet et aux témoignages de la considération dont on l’entoure. S’il voyage, — et il voyage souvent, — il est respectueusement salué dès qu’il est reconnu. A Philadelphie, il est acclamé ; à la Nouvelle-Orléans, dans la foule qui se presse sous les croisées de son hôtel, figure, — détail assez piquant, — le consul de France, le sieur de Forgues, qui est son ami et qui vient le visiter, ce que Turreau indigné dénonce à son gouvernement.

Les deux présidens qui, pendant son séjour en Amérique, se succèdent à la tête de l’Etat, Jefferson et Madison, ne se font pas faute d’égards envers lui. Ces égards ne peuvent que déplaire au représentant impérial, lequel, mal marié, voit sa vie constamment troublée par des scènes de ménage, en reste tout aigri et ne jouit d’aucun prestige dans la société américaine. Au contraire, le prestige de Moreau est tel que lorsque les Etats-Unis prépareront, en 1812, une expédition contre le Canada, le bruit se répandra qu’il a refusé d’en prendre le commandement.